Les premières épreuves du nouveau bac sérieusement menacées

PRESSE: cafepedagogique.net

Il va falloir retenir le sigle « E3C ». Malgré tous leurs efforts sur le terrain, comme les menaces utilisées à Nîmes, les recteurs semblent incapables d’arrêter la vague d’opposition aux nouvelles épreuves de contrôle continu du bac 2021. Nîmes a semblé donner un coup d’envoi avec le blocage le 13 janvier des épreuves d’anglais déclenchées en avance au lycée Daudet. Dans les académies, l’opposition à l’organisation des épreuves progresse, et dans certaines elle a déjà atteint un niveau important. Ces épreuves mal taillées font l’unanimité syndicale contre elles même si elles sont aussi un terrain d’affrontement entre organisations. Elles sont aussi devenues un moyen de s’opposer aux réformes Blanquer et à la réforme des retraites.

JM Blanquer s’enerve

« Les lycées sont prêts. Là où il y a des difficultés c’est parfois de l’agitation et vous la poussez. En réalité s’il n’y a pas cette minorité, tout est prêt pour que ça fonctionne ». Si JM BLanquer s’est énervé le 14 juin à l’Assemblée en répondant à une question de la députée LFI S. Rubin c’est qu’il y a le feu à la maison. Le 8 janvier, devant la Commission éducation du Sénat il était plus calme. « Je n’ai pas d’inquiétude », disait-il. « Là où il y aurait des problèmes ce serait pour des raisons sociales… J’ai confiance dans les professeurs car tout désordre serait nuisible à leur établissement ».

 

 

Le mouvement prend de l’ampleur

En une semaine, le mouvement de contestation des épreuves de contrôle continu du nouveau bac 2021 a pris de l’ampleur. Il n’est que de suivre sur les sites syndicaux les déclarations des lycées. Ainsi dans le toulousain, ce sont pas moins de 31 lycées où des enseignants ont écrit pour annoncer qu’ils ne participeraient pas aux E3C, ou demander leur report. Dans l’académie de Bordeaux, des pétitions, des courriers ont été envoyés dans une vingtaine de lycées. En Bretagne, la carte tenue à jour par le Snes montre que presque tous les lycées sont engagés dans la contestation de l’épreuve. A Paris, des votes contre la tenue des E3C ont eu lieu à Bergson, Duruy, Dorian, Montaigne. Au lycée Villon les professeurs de langues n’ont pas choisi de sujet tout comme leurs collègues de Fauré en histoire-géo.

Les arguments des enseignants

Les enseignants ont des arguments. La réforme du bac a été imposée à un rythme endiablé sans tenir aucun compte des observations et des refus des syndicats. Le ministère n’a pas été capable de tenir le rythme. La banque de sujets a été ouverte tardivement et les sujets sont très critiqués. Dans des lycées, les professeurs de maths en série STMG estiment que les sujets ne sont pas faisables par les élèves car sans rapport avec leur progression. Dans un nombre bien plus élevé d’établissements les enseignants jugent leurs élèves de première pas assez préparés par rapport aux sujets d’examen. Ainsi à Clermont, selon France 3 régions, une professeure d’espagnol juge que « passer une épreuve du bac en janvier c’est beaucoup trop tôt ». « Après seulement quatre mois de cours, qui plus est sans véritable visibilité sur le type de sujets que contiendrait la Banque nationale (BNS), nos élèves vont être soumis à des épreuves d’examen pour lesquelles ils n’ont pas pu s’entraîner », note le Snes à propos des épreuves d’histoire géo. « Par ailleurs, ils doivent s’approprier des programmes particulièrement indigestes, et aucun temps n’est prévu pour les révisions préalables aux E3C. Par exemple, devoir étudier trois thèmes et sujets d’étude en 3 mois et demi est une gageure avec 1h30 de cours par semaine dans les séries technologiques. »

Il y a aussi les bugs techniques. Des enseignants n’arrivent pas à avoir accès aux sujets qu’ils sont censés choisir. D’autres par contre y ont accès alors qu’ils ne devraient pas. La sécurité de la banque des sujets est relative puisqu’il y a plusieurs façons d’être validé pour y accéder. Des sujets circuleraient déjà sur les réseaux sociaux et des corrigés sont visibles sur youtube.

A Nîmes, les menaces de la rectrice

De premiers incidents ont eu lieu. Celui de Nîmes est emblématique. Le 13 janvier, en avance sur le calendrier officiel qui prévoit les épreuves à partir du 20 janvier, les élèves du lycée Daudet auraient dû passer l’épreuve d’anglais. Mais le matin, le lycée est bloqué par un barrage composé de cheminots, agents EDF et enseignants en lutte contre la réforme des retraites.  A 13 heures, la police évacue le barrage. Mais les enseignants surveillant l’épreuve se déclarent grévistes. L’épreuve est reportée. Le soir même la rectrice écrit à 28 professeurs. Dans ce courrier elle reproche aux enseignants d’avoir libéré les élèves. « Votre responsabilité étant engagée », dit la rectrice, « je vous remercie de m’indiquer tout élément que vous souhaitez porter à ma connaissance avant que je n’envisage les suites à donner à ces événements du point de vue du service non fait et de l’ouverture éventuelle d’une procédure disciplinaire ». Au Café pédagogique, le rectorat précise que « des procédures disciplinaires pourront effectivement être envisagées pour les enseignants qui n’auraient pas respecté leurs obligations de service.. Elle ne concerneront pas ceux qui ont fait valoir leur droit de grève et qui ne seraient pas intervenus dans la désorganisation des E3C ».

 

Selon Bertrand Humeau, co secrétaire général du Snes de l’académie, une dizaine de lycées sont déjà mobilisés contre lesE3C dans les principales villes et « il y a de l’ébullition dans tous les établissements ». L’affaire de Nîmes montre aussi l’apparition de mouvements  interprofessionnels intervenant contre la réforme du bac. « Ça risque de se reproduire », pense B Humeau.

Tous les syndicats hostiles aux E3C

Si la rectrice reste prudente et si le mouvement démarre aussi fort c’est que tous les syndicats d’enseignants et le principal syndicat de personnels de direction sont hostiles à ces E3C. Tous demandent le report ou l’annulation de la première session.

A force de n’écouter personne et d’imposer , JM Blanquer a réussi à construire cette légitimité qui n’aurait jamais dû exister. Car tous les syndicats sont contre les E3C Blanquer. Mais ils s’opposent sur ce que devraient être ces épreuves.

L’organisation officielle des épreuves tente de concilier deux principes qui semblent inconciliables : des épreuves à caractère national et un contrôle continu avec une organisation souple décidée localement. Cette contradiction résulte de l’indécision politique initiale. JM Blanquer impose seul contre tous mais il n’a pas tranché nettement entre contrôle continu et examen national, ou, d’une autre façon, entre les enseignants du Snes Fsu et les chefs d’établissement du Snpden Unsa. Cette incapacité à choisir n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’organisation du brevet…

Résultat, les E3C ont toute l’apparence d’une épreuve nationale avec une banque de sujets nationale bricolée au dernier moment, une correction anonymisée numérisée, sans qu’on sache bien si ca marchera vraiment, une procédure d’harmonisation dont on se demande comment elle pourra être réelle en l’absence de consignes de correction. Mais l’organisation locale varie d’un établissement à l’autre. Ici, les E3C bénéficient du cérémonial d’un examen avec des tables espacées et plusieurs surveillants voire une banalisation de la journée. Ailleurs, les E3C sont surveillées par un professeur avec 35 élèves par salle comme pour un devoir ordinaire.

Mais opposés sur ce qu’ils devraient être..

Cette organisation mécontente tout le monde. Le Snes Fsu peut dénoncer les inégalités entre établissements, la triche, la surcharge de travail pour les enseignants qui doivent choisir collectivement des sujets, surveiller puis corriger après avoir aligné de force leurs progressions. Le Snpden et le Sgen Cfdt dénoncent l’absence de véritable contrôle continu. Cerise sur le gâteau : le ministère a annoncé vouloir payer 50 € la correction d’un paquet de 35 copies. Outre que c’est nettement moins que le tarif de correction des copies du bac, le ministère n’a toujours pas réussi à faire paraître le texte. Officiellement, on demande aux enseignants de corriger gratuitement. Quant aux personnels de direction, ils estiment aussi que leur zèle n’est pas assez reconnu alors qu’ils doivent faire face à une contestation généralisée.

Vers la convergence des luttes ?

Une telle impréparation et un telle surdité aux remarques des professionnels suffirait à justifier le mouvement. Mais deux événements viennent aussi conforter la crise. Le premier, c’est le souvenir du bac 2019. Si une minorité d’enseignants seulement a participé au blocage du bac, une large majorité ne s’est pas opposée à ces blocages. L’exaspération construite par le ministre a fait lever le puissant tabou du bac.Par contre, la façon dont le ministre a géré cette crise en faisant enregistrer des notes créées pour la circonstance, piétinant les valeurs du métier, n’ont pas été oubliées.

 

Enfin il y a  le conflit des retraites. Le gouvernement joue le pourrissement depuis un mois pour tous les opposants à la réforme. Pour les enseignants, qui sont les premières victimes de la réforme, il a fallu attendre le 13 janvier pour avoir un premier engagement qui semble bien faible et encore flou dans son application au regard de la catastrophe qui guette les professeurs. Les E3C donnent un nouveau levier pour se faire entendre. Les enseignants le saisissent.  Il s’est matérialisé dans le blocage de Nîmes qui doit susciter un certain émoi au ministère. Le ministre lui, à l’Assemblée faisait mine de ne pas comprendre. On n’a pas fini de parler des E3C…

François Jarraud

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