« Nous ne baisserons pas la tête » : c’est la réponse, devenue virale, à la répression que subissent les manifestant·es qui, depuis plus d’un mois, refusent que l’Université de Boğaziçi (Istanbul), l’une des plus prestigieuses de Turquie, soit mise sous la coupe du président Erdogan.
Tout a commencé le 1er janvier : décret présidentiel nommant Melih Bulu recteur. Un fidèle d’Erdogan, membre de son parti et candidat aux élections de 2015. Un parachuté, qui n’a jamais travaillé dans cette université. Une ingérence. Un mépris des règles démocratiques de gouvernance établies par l’université pour le choix du recteur par ses pair·es. Melih Bulu est là pour soumettre ce lieu de savoir et de développement de l’esprit critique aux dictats de la politique réactionnaire de l’autocrate qui l’a nommé.
Il est rejeté unanimement : depuis sa nomination, il n’a trouvé personne qui accepte de devenir son second !
Après s’en être pris aux « universitaires pour la paix », aux fonctionnaires, aux journalistes, aux intellectuel·les et aux syndicalistes, Erdogan place maintenant ses pions à des postes-clés dans le but de contrôler les institutions, puisqu’il a échoué à maintenir éternellement en prison ses adversaires, libérés après de multiples procès. Nos collègues du syndicat Egitim Sen, membre de l’Internationale de l’Éducation et du Comité Syndical Européen de l’Éducation (CSEE), quand ils et elles venaient assister aux réunions internationales sans crainte de ne plus pouvoir rentrer au pays, avertissaient de cette stratégie de contrôle : déplacement d’office des universitaires démocrates qui, même innocentés par la justice, ne retrouvaient pas leur poste ; nominations arbitraires ; bataille idéologique. Voilà aujourd’hui la décrédibilisation des protestataires, ces « terroristes » et « ennemis des valeurs nationales », ces « forces obscures » aux desseins dangereux. Classique : vouer l’opposition à la vindicte publique et surtout médiatique.
Mais l’arbitraire ne passe pas : étudiant·es et personnels manifestent, appelant Melih Bulu à démissionner. Les alumni, qui gardent un lien fort avec leur alma mater, ont diffusé la nouvelle dans tous les pays où elles et ils sont aujourd’hui installés. Une pétition internationale de soutien a été signée par plus de 1 500 académiques du monde entier.
Les libertés académiques ne sont ni à géométries, ni à géographies variables. Elles constituent la substance même de l’université, le cadre d’éducation de la jeunesse. C’est cette jeunesse qui se soulève à Istanbul et fait tâche d’huile, au delà de la seule Université de Boğaziçi. Elle reçoit le soutien des maires d’Istanbul et d’Ankara, et de quelques politiques. Loin de se tarir, les manifestations prennent de la couleur : des drapeaux arc-en-ciel des étudiant·es LGBT y sont déployés, faisant bondir les réactionnaires.
La démocratie se paie au prix de coups, de calomnies (« ces pervers de LGBT », « ces serpents venimeux »), et d’arrestations : 159 à ce jour.
Notre solidarité indéfectible a toujours accompagné les collègues turcs. Rappelons le cas de Tuna Altinel, mathématicien de l’université de Lyon, contre qui une police et une justice aux ordres se sont acharnées. Après avoir été définitivement blanchi, refuser de lui rendre son passeport est l’ultime moyen de le priver de sa liberté.
Jusqu’à quand les réactions d’indignation officielles resteront des paroles creuses ? Les dictateurs se moquent des mots. Il est temps de passer aux actes.