Notre économie est d’une certaine façon « gelée » : les mesures d’urgence gardent les entreprises sous perfusion, ce qui n’empêche pas d’ores et déjà des ravages sociaux (fin de CDD, intérimaires et précaires, étudiants…). 2021 risque d’être une année plus dangereuse encore.
Que va-t-il se passer pour les entreprises ?
L’économie de marché n’existe plus. Du moins pour l’instant. La quasi-totalité des « coûts » d’un nombre important d’entreprises sont en passe d’être socialisés. APLD, Fonds de solidarité, report de cotisations et désormais prise en charge des « coûts fixes », le capital est de fait socialisé. La question fondamentale est donc : jusqu’à quand ? Et que se passera-t-il quand ces mesures prendront fin ?
Le gouvernement navigue à vue : ce qui ne devait être qu’une crise passagère se transforme en crise permanente. Aucune contrepartie (notamment en termes d’embauches, d’investissements) n’est demandée aux entreprises, ce qui risque d’aggraver la situation économique générale… et conduire un nombre important d’entreprises vers la faillite.
En cas de difficultés majeures de certaines entreprises (notamment les grands groupes, dont la faillite serait catastrophique pour tout le territoire), se posera la question de l’entrée au capital de l’État. Là encore, avec quelles contreparties ?
Combien de temps devrons-nous tolérer cette socialisation (sans débat) des pertes ?
Soyons clairs : il faut éviter à tout prix les défaillances d’entreprise, pour la simple raison qu’il y va de l’avenir des salarié.es qui y travaillent ! C’est le « quoi qu’il en coûte » sans contrepartie qui est une ineptie économique et démocratique majeure.
Les ménages abandonnés
Les plans de licenciement commenceront à prendre leurs effets dès le printemps (on en dénombre déjà plus de 700 prévus pour 2021), facilités par les réformes antérieures de « flexibilisation » du marché du travail. Tous les ingrédients d’une catastrophe sociale sont réunis, et elle a déjà commencé.
Les personnes étudiantes, précaires, privées d’emploi sont les abandonnées de la période. Nombre de salariés suivront avec les plans de licenciement.
Avec quel soutien des pouvoirs publics ? Pourquoi ce qui est mobilisé sans concertation, sans question pour le capital ne l’est pas pour le travail ?
Pourquoi le « quoi qu’il en coûte » n’atteint pas celles et ceux qui ont effectivement besoin de solidarité ? Pourquoi l’épargne accumulée par les plus aisés n’est pas mobilisée pour limiter les dégâts sociaux causés par la crise en cours ?
Là aussi, des risques de « faillite » sont majeurs : combien de ménages se retrouveront en incapacité de payer leur crédit immobilier dans les mois à venir ? À partir de combien de kilomètres de queue aux banques alimentaires allons-nous commencer à prendre la mesure de ce qui se joue ?
Le système financier au bord du gouffre
L’état des banques est assez préoccupant pour deux raisons. La faiblesse des taux d’intérêt réduit leur rentabilité.
Les risques de faillites d’entreprises, tout comme les risques de défauts des ménages, viennent eux aussi mettre à mal la situation du système bancaire. La crainte d’une crise financière est plus que jamais d’actualité : il suffirait de peu pour que la poudrière de la dette privée, celle des ménages et des entreprises (qui s’élève à 150 % du PIB en France, c’est-à-dire 30 points de plus que la dette publique), prenne feu.
Ce serait ajouter une nouvelle strate à la crise, et impliquerait une nouvelle intervention massive de l’État. On peut imaginer sans peine que l’éventuel sauvetage des banques se ferait sans contreparties…
L’urgence de changer de stratégie économique
C’est dire l’urgence de changer radicalement de stratégie. En lieu et place d’une dilapidation d’argent public sans vision, sans stratégie et sans projet, il est urgence de définir, avec les salariés des groupes, un nouveau cap stratégique de rupture.
Utiliser ce moment de crise pour prévenir celle du futur, c’est-à-dire la crise climatique et environnementale.
Cela n’a rien d’abstrait ni d’hypothétique. C’est notre avenir, qu’on le veuille ou non.
Les terrains de lutte sont alors nombreux pour répondre à l’urgence :
- soutenir massivement les ménages en difficulté en taxant l’épargne accumulée par les plus riches ;
- imposer des contreparties aux entreprises et des changements stratégiques ; construire un véritable pôle financier public pour financer les projets en faveur de la rupture ;
- gagner la sécurité sociale professionnelle pour non seulement garantir les revenus et les qualifications mais également contribuer à transformer l’appareil productif et son utilisation…
En un mot : reprendre la main. S’il y a des risques colossaux devant nous en 2021, il y a aussi de très nombreux combats à gagner.
Mathieu Cocq (économiste CGT)