- OUI À L’ÉCOLE PUBLIQUE, LAÏQUE ET GRATUITE !
Le 16 octobre, Samuel Paty, professeur d’histoire géographie, a été décapité par un jeune homme se revendiquant de l’Islamisme intégriste et remettant en cause la réutilisation des caricatures de Charlie Hebdo lors d’un cours d’Éducation Morale et Civique (EMC). Plus de 5 ans après les attentats de Charlie Hebdo, c’est un représentant de celles et ceux en charge d’enseigner les savoirs, d’initier au débat argumenté, d’éveiller l’esprit critique et d’assurer la liberté de conscience, qui est assassiné.
De par leurs statuts, la CGT et ses organisations agissent pour que prévalent dans la société les idéaux de liberté, d’égalité, de justice, de laïcité,de fraternité et de solidarité et luttent pour la liberté d’opinion et d’expression. Aujourd’hui, comme en 2015, nous dénonçons et dénoncerons avec force tous les actes de haine et de racisme qui se manifestent et se développent. Il nous a semblé essentiel de rappeler ce que nous disions à l’époque… peu de choses ont changé.
L’ÉDUCATION EN PREMIÈRE LIGNE
Depuis le 16 octobre et ce nouvel appel à l’unité nationale, de nombreuses tentatives de récupérations politiques ont lieu, certain·es profitant de cette atrocité pour donner libre cours à leurs haines contre les musulman·es et les Africain·es, d’autres pour mettre en place de nouvelles lois liberticides ou remettre en cause la laïcité et la Loi de 1905. La FERC CGT conserve son indépendance syndicale, défend tous les salarié·es, quelles que soient leurs options philosophiques ou religieuses, étant entendu que le racisme n’est pas une opinion.
Déjà lors des attentats de 2015, la FERC rappelait que les personnels qui construisent et défendent au quotidien un accès de tous et toutes à l’éducation et à la culture et qui ont régulièrement alerté leur hiérarchie sur certaines remises en cause de la laïcité et la hausse des actes discriminatoires, se trouvent en première ligne sans se sentir réellement soutenus ou aidés par le ministère qui ne trouvent qu’à leur proposer des fiches de signalisation de radicalisation.
Encore une fois, après l’assassinat de Samuel, de nombreux discours de ministres, de journalistes, d’hommes et femmes politiques, ont souligné le rôle primordial de l’école dans la lutte contre les dérives sectaires, le repli sur soi, le rejet de l’autre, oubliant pour quelques heures l’ensemble des critiques qu’ils et elles faisaient aux personnels de l’Éducation et les restrictions budgétaires assumées pour ne pas augmenter les salaires, le nombre de postes, les moyens pour l’école et l’émancipation, ce qui suppose des pédagogies émancipatrices.
Certes, ce rôle fait bien partie de nos revendications en tant que salarié·es de l’éducation, de la recherche et de la culture, parfois aussi comme usager·e, nous le revendiquons et l’assumons depuis longtemps, mais nous avons souvent l’impression d’être bien seul·es face à ces missions. Les réformes de Blanquer qui recentrent encore les apprentissages sur « savoir lire, écrire, compter » et restreignent la liberté pédagogique et le rôle de concepteur·trices des enseignant·es s’éloignent de la nécessité d’une éducation à la culture, à l’esprit critique, à l’appréhension et à la compréhension des différences.
En effet, au-delà du discours, cette formation globale des jeunes de la maternelle à l’université, seule capable de donner à toutes et tous un égal accès à la compréhension d’un monde complexe, demande une volonté politique, des moyens, du temps et de la formation pour la mettre en place. Pourtant, ce ne sont pas ces choix qui sont faits aujourd’hui.
Au contraire, la réforme du Bac et ParcourSup, l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiant·es étrangers vont augmenter les inégalités d’accès à l’enseignement et renforcer la hiérarchisation et la mise en concurrence des lieux de formation.
L’Éducation Populaire, l’apprentissage citoyen au « vivre ensemble », trop longtemps abandonnés ou instrumentalisés, doivent rester un axe essentiel des politiques publiques en permettant aux associations de sortir des logiques de marchandisation dans lesquelles on veut les enfermer. Complément indispensable de l’Éducation Nationale, elles doivent continuer de rester le lieu privilégié des projets collectifs des jeunes et des familles.
C’est pourquoi la FERC continue de dénoncer une politique de la jeunesse qui oriente les budgets publics vers le Service national universel et des dispositifs comme les « vacances apprenantes » ou les « 2S2C » (Sport Santé Culture Civisme) au détriment d’une politique réfléchie et travaillée avec les associations d’éducation populaire. Une politique jeunesse nationale ne peut se réduire à des dispositifs médiatiques, dont le SNU porteur d’une idéologie inverse aux valeurs de l’éducation populaire et au projet émancipateur défendu par notre fédération.
Si les contenus proposés en matière d’Éducation Morale et Civique intégrant la lutte contre l’ensemble des discriminations, l’éducation aux médias, à la vie sexuelle et affective sont intéressants, leur mise en application est rendue difficile par l’absence de budgets et de dotations spécifiques. Trop souvent cet enseignement, au lieu d’être transdisciplinaire et de permettre des pédagogies émancipatrices, est imposé aux profs d’histoire-géographie. Le manque de formation initiale et continue de l’ensemble des personnels de l’Éducation sur ces thématiques est un véritable frein aussi. Cette absence oblige de fait à faire des choix entre les différents enseignements.
Par ailleurs, on ne peut pas demander à la seule école de résoudre les problèmes d’une société en crise qui laisse un quart de sa jeunesse au chômage et voit grandir chaque jour les inégalités économiques, sociales et spatiales entre ses citoyen·nes… Il faut aussi réfléchir au-delà du cadre éducatif.
QUID DE LA LAÏCITÉ ?
La FERC Cgt tient à rappeler son profond attachement au principe de laïcité qui régit notre pays et notamment le monde de l’Éducation. La laïcité correspond à une conception politique (inspirée de valeurs philosophiques), concrétisée par un ensemble de textes basés sur la séparation stricte des pouvoirs politiques et administratifs (sphère publique) du domaine religieux (sphère privée). Mis en place par la loi de 1905 qui affirme la République assure la liberté de conscience [et] garantit le libre exercice des cultes, ce qui implique que l’État ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Ce principe est réaffirmé dans la Constitution de 1958 qui stipule La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. La laïcité assure aussi à tout un chacun le droit de croire ou de ne pas croire. Elle permet ainsi de vivre ensemble dans le respect des lois de la République, dans le respect de chacun·e, quels que soient ses origines, ses choix philosophiques ou ses convictions religieuses.
La laïcité ne doit pas se réduire à un slogan incantatoire mais faire l’objet d’une réflexion approfondie sur les conditions de sa mise en pratique en lien avec la place du/de la citoyen·ne dans la société et les droits et devoirs qu’elle impose, la conception de la démocratie, les luttes contre l’exclusion, les inégalités et la place de l’École. Dans la conception française, la laïcité ne peut pas être « ouverte » ou « positive » au sens entendu où le religieux s’inclut dans la sphère publique et devient un partenaire des institutions, spécifiquement l’école (comme cela se fait dans les pays anglo-saxons).
Dans un monde aujourd’hui global et de plus en plus complexe, où se multiplient les moyens d’information et les accès aux connaissances, où explose la médiatisation des événements et de la pluralité des représentations du monde (comme les derniers événements nous l’ont encore démontré), où les réseaux sociaux permettent l’expression de toutes et tous dans l’immédiateté, la laïcité est garante de l’émancipation de toutes et tous. Elle doit favoriser le libre accès au savoir et à la culture et le développement de l’esprit critique qui laisse place au doute, à la réflexion, à l’autonomie, à l’imagination et à la créativité. Par ses finalités mêmes, la laïcité est donc un pilier fondamental de l’École et de l’organisation de l’État.
A l’inverse, le projet de texte contre le « séparatisme », mal nommé « projet de loi visant à renforcer la laïcité et conforter les principes républicains » n’est pas une réponse aux attaques contre la laïcité. Dès sa rédaction initiale, il n’est qu’un moyen médiatique du gouvernement pour tenter de satisfaire la droite et l’extrême droite en développant encore une politique sécuritaire. À l’inverse de la laïcité, il ne vise que les citoyennes et citoyens de confession musulmane. Il porte un héritage colonial raciste et s’inscrit dans un contexte marqué par une recrudescence d’actes et de paroles racistes dans le débat public :
- l’usage du mot « ensauvagement » répété par les membres du gouvernement et repris par les médias ;
- la monstrueuse mise en scène raciste de la députée Danièle Obono dans un magazine ;
- la « plaisanterie » d’un ancien président de la République assimilant « singes » et personnes noires ;
- les humiliations publiques répétées de femmes qui portent le foulard…
Récemment, une dirigeante de l’Unef a été attaquée sur son voile, alors qu’elle s’exprimait sur l’aggravation des conditions de vie des étudiant·es dans le contexte de crise sanitaire.
Or la laïcité a pour objectif principal de garantir les libertés et l’égalité. L’État se doit justement d’être neutre et laïque pour permettre aux citoyennes ou citoyens d’exprimer librement leurs idées, dans la mesure où cette expression n’empiète pas sur la liberté d’autrui. La FERC CGT rappelle son attachement à la laïcité telle que définie plus haut. La modifier, comme le projette l’exécutif, risque de détruire cet équilibre et de restreindre la liberté de conscience et de stigmatiser certain·es. Cette instrumentalisation est doublement dangereuse : elle fait le jeu de l’extrême droite et divise la société.
En revanche, la FERC rappelle sa revendication d’intégrer tous les secteurs d’enseignement privé dans un seul service public rénové, laïque, démocratique et réellement gratuit pour atteindre l’ensemble de ces objectifs. Et dès à présent, elle exige que les enseignements qui s’appliquent aux établissements publics (éducation à l’égalité fille-garçon, lutte contre l’ensemble des discriminations – racisme, xénophobie, sexisme, LGBTphobies, handicap, etc.) s’appliquent également aux établissements privés sous contrat. De la même manière, elle demande l’abrogation de toutes les lois anti-laïques et le retour au principe fondamental selon lequel l’argent public ne finance que l’école laïque.
Pour finir, il n’est pas question de revenir sur les droits fondamentaux que sont les libertés de la presse, d’expression et d’opinion.
Le meurtre froid et déterminé au nom d’une conception dévoyée d’une religion, d’un enseignant qui voulait développer l’esprit critique de ses élèves en leur parlant de liberté d’expression, nous replonge dans un monde où la barbarie l’emporte sur l’esprit des Lumières. L’islamisme radical porte un projet politique totalitaire pour toutes et tous, musulman·es ou non, et notamment pour les femmes. Il veut faire taire à jamais, et de façon la plus brutale, des personnes en raison des opinions et des idées qu’elles incarnent : laïcité, lutte contre tous les racismes, contre toutes idéologies réactionnaires. Par ces faits, comme au temps des attentats contre Charlie
Hebdo, c’est l’esprit d’une époque qu’on a voulu atteindre : liberté d’expression, impertinence, remise en cause de l’ordre établi et du consensus, provocation et dérision comme arme de subversion.
À ce titre, il est bon de rappeler qu’aucun « délit de blasphème » n’existe plus dans la loi, si ce n’est en Alsace Moselle du fait du Concordat de 1801. Pour une réelle égalité de traitement et de droits sur le territoire français, ce dernier devrait être aboli dans ces régions aussi.
L’IMPACT DES POLITIQUES PUBLIQUES
Sans faire preuve d’angélisme ni de volonté de récupération politique, le seul rappel à la laïcité et au rôle de l’École ne suffira pas à faire reculer l’ensemble des radicalismes et fondamentalismes. Une partie de ceux-ci naissent aussi de la désespérance, de la recrudescence de la pauvreté, de l’exclusion sociale. Or malgré les nombreuses alertes des organisations progressistes, notamment la CGT et ses organisations, les réponses sociales, économiques et sociétales permettant de faire baisser les inégalités et de porter la volonté du « vivre ensemble » restent totalement inexistantes.
Le gouvernement de Macron, comme les précédents, mène une politique de régression sociale, qui fragilise toujours les plus pauvres et casse les conquis sociaux (baisse des APL, loi Travail XXL, réforme de l’assurance chômage, des retraites, casse des services publics, etc.) tout en faisant toujours plus de cadeaux « aux premiers de cordées » (suppression de l’ISF, maintien du CICE, etc.). La crise du Covid-19 n’a fait que renforcer cette politique avec de l’argent public injecté par milliards dans les entreprises qui continuent de licencier. Rien n’est fait pour les salarié·es dont beaucoup sont touchés par le chômage ou l’activité partielle.
Les guerres menées au nom de la « lutte contre le terrorisme » hors de nos frontières ont le plus souvent des visées impérialistes au profit des grands groupes financiers pour leur assurer l’accès aux ressources des pays ; elles perpétuent l’exploitation européenne des ressources mondiales et le racisme induit par ce déséquilibre mondial.
Les services publics nationaux déclinés en proximité, garants de l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire et de la réponse aux besoins de la population, continuent d’être mis à mal par les suppressions de postes, de services, les restructurations, le sous-investissement et la mise en concurrence avec le privé (tant dans nos secteurs que dans celui de la santé, des télécommunications, des transports, etc.) notamment avec la loi de transformation de la Fonction publique et le Ségur de la santé.
De même la suppression des subventions aux associations locales d’éducation populaire et le projet de leur financement qui renforcerait le mécénat et l’investissement privé privent les quartiers populaires d’une indispensable médiation sociale.