Télétravail
Le télétravail ou travail à distance ne doit pas être subi et laissé au « bon vouloir » des employeur·ses avec des modalités disparates selon les entreprises et les services. Nous exigeons a minima la tenue d’une négociation interprofessionnelle sur ce sujet, ainsi que l’ouverture de négociations dans les entreprises et établissement de nos secteurs, qui devront améliorer l’accord interprofessionnel et l’adapter aux réalités du travail des travailleurs et travailleuses de l’éducation, la recherche, la formation professionnelle, la culture, etc. Nous réclamons également l’ouverture de négociations au sein des branches professionnelles sur le droit à l’image et sur la propriété intellectuelle. En effet, durant la période de télétravail contraint nous avons vu s’amplifier des pratiques plus que douteuses. L’hybridation et la scénarisation des cours, par exemple, apportent plus d’inquiétudes que de solutions. Moyen d’assurer les cours et formations à peu de frais, elles posent aussi des questions : quand on fait des interventions en visio-conférence, qui peut nous garantir que notre image ne sera pas captée, réutilisée à notre insu et éventuellement à des fins commerciales ? Que devient la propriété intellectuelle sur les contenus qui sont mis en ligne ? Où est-ce archivé ?
Le travail à distance en question
Le télétravail dans la Fonction publique a été introduit par la loi n° 2012-347 (loi Sauvadet), puis 4 ans plus tard par le décret n° 2016-151. Les arrêtés du 3 novembre 2017 (MESR) et du 7 avril 2018 (MEN – MESR) précisent l’application dans nos ministères. La sortie pendant le confinement du décret n°2020-524 du 5 mai 2020 assouplit les conditions du télétravail (jours flottants, extension des dérogations telles l’utilisation de son propre matériel ou plus de trois jours de télétravail par semaine), mais rappelle également quelques obligations de l’employeur·se (obligation d’adapter le poste de travail…). Les accords de télétravail doivent être discutés dans les Comités Techniques des établissements. Rappelons que les enseignant·es, qui travaillent à distance depuis des décennies, sont écartés du cadre réglementaire.
L’épidémie de Covid-19 et le confinement ont conduit à un « travail à distance » dérégulé, massif et dangereux : de 3 % de télétravailleur·ses en 2017, nous sommes passés à 35 % de « travailleur·ses à distance » au printemps 2020. Une enquête de l’UGICT-CGT publie des chiffres accablants : pour 40 % des cadres, ce « travail à distance » induit une augmentation de la charge de travail et 97 % n’ont pas d’équipements ergonomiques. L’impact sur la santé des travailleur·ses (épuisement, stress, TMS…) commence à apparaître. Les mois et années qui viennent l’éclaireront.
Le télétravail est dorénavant une réalité souvent revendiquée par les agent·es eux et elles-mêmes qui y voient la possibilité de s’épargner des trajets épuisants, de renouer avec un environnement de travail plus calme, de se soustraire à la tyrannie de l’urgence, voire d’échapper à un encadrement toxique.
Pour autant, cette évolution du travail ne doit pas se faire au détriment des salarié·es, pour les télétravailleur·ses, pour l’encadrement comme pour celles et ceux qui ne sont pas éligibles au télétravail en raison de leur poste de travail et qui ne doivent pas souffrir de l’absence de leurs collègues. Le télétravail ne doit pas non plus conduire à la désocialisation du travail, notamment à la perte du lien syndical.
C’est pourquoi il faut négocier, revendiquer et s’assurer que l’employeur·se :
- prenne à sa charge les coûts du télétravail (ordinateur, fauteuil, fournitures, abonnements, fluides…) ;
- garantisse la santé du/de la télétravailleur·se (évaluation des risques professionnels, organisation et ergonomie du poste de travail, amplitude horaire, charge de travail, etc) ;
- assure le maintien des collectifs de travail.
En télétravail comme en présentiel, nous devons poser le droit des travailleur·ses
et en arracher de nouveaux.
Enseignement à distance dans le Supérieur public et privé
La question de l’enseignement à distance prend une importance considérable en cette rentrée, avec les conséquences de l’épidémie Covid-19. Nous présentons un témoignage et des positions du supérieur privé et public.
Dans le privé comme dans le public, enseigner est un métier spécifique qu’aucun « robot pédagogique » ne peut exercer. C’est un métier de relation et d’accompagnement, un acte socialisé qui s’enrichit des interactions avec les étudiant·es et entre les étudiant·es. Rien ne remplacera ces interactions, les TP sur le terrain, devant la paillasse ou devant une machine. Rien ne remplacera les va-et-vient permanents entre l’enseignant·e et les étudiant·es. Rien ne remplacera l’élaboration d’une pensée ou d’un raisonnement devant et avec un public étudiant.
Supérieur public
Nous vivons la rentrée universitaire la plus dure jamais vécue. Il faut accueillir comme chaque année plus d’étudiant·es sans moyens supplémentaires : en temps normal, il manque au moins 50 000 emplois et 2 universités ! Avec les conditions sanitaires, ça devient intenable.
Certains amphis de rentrée, faute de place et de moyens, se tiennent sans possibilité de distanciation physique. Les établissements et les personnels sont laissés à leur sort.
Sauf exceptions (adaptation à un public particulier, CNED, IED…), l’enseignement à distance est un mode d’enseignement dégradé, choisi à défaut par certain·es collègues pour pallier des conditions dégradées. Il ne peut en rien remplacer les cours, TD, TP en présentiel.
Quand il doit être mis en place, ce mode d’enseignement doit respecter les conditions de travail, les horaires et la santé des personnels. La surcharge de travail doit être prise en compte. Il ne doit pas être utilisé pour réduire l’accès à un enseignement supérieur de qualité pour toutes et tous, ni servir à revoir et augmenter les obligations de service ou à remettre en cause le statut des personnels.
Le présentiel doit redevenir la norme. Le nombre d’étudiant·es en cours et en TD doit être réduit. Tou·tes les étudiant·es doivent être accueillis dans de bonnes conditions. Le gouvernement doit ouvrir en urgence des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires.
Extraits de la lettre d’une camarade du supérieur privé
« Profitant de la mise en place de l’enseignement à distance expérimenté à marche forcée durant la crise sanitaire, des directions d’écoles supérieures d’enseignement privé envisagent de réformer les modalités d’enseignement dès la rentrée 2020 en annonçant que cette expérience est « l’occasion d’améliorer les pratiques pédagogiques »
[…] Mettre en place des enseignements à distance consiste à réformer des méthodes pédagogiques éprouvées de longue date et cela ne s’improvise pas. Pour le moins, nous avons à nous interroger sur ce que nous avons à y gagner et sur ce que nous avons à y perdre.
Ici, je ne parle que du point de vue pédagogique, ce n’est pas pour autant que j’ignore la question des intérêts financiers que l’enseignement à distance représente pour les employeur·ses de l’enseignement privé.
Dans tous les cas, la question de la formation et de l’accompagnement des enseignant·es est primordiale. Je ne parle pas ici d’initiation aux fonctionnalités des outils numériques, mais bien de formations sur une réflexion de fond sur le sens du métier d’enseignant·e.
Aucune réforme sur les modalités de l’enseignement ne peut faire l’économie de cette réflexion sur ce que l’on transmet et comment on le transmet :
de pédagogie en somme ! ».
L’enseignement à distance ?
Commençons par cet appel de l’ICEM 75 [1] : « Avec la fermeture des établissements scolaires et le confinement, nos élèves sont privés de l’un des premiers piliers de l’école : sa dimension collective. Alors nous, enseignant·es Freinet parisien·nes, pensons qu’une prétendue continuité pédagogique, déconnectée de la situation sociale, est un leurre. Dans nos classes, les savoirs naissent de l’aventure collective : rencontres, échanges, confrontations et coopérations. Dans nos classes, nous construisons à partir de ce que les enfants apportent : leur vécu, leurs envies, leurs projets. Dans nos classes, les élèves apprennent, travaillent et s’exercent parce qu’ils en ont besoin, dans leur trajectoire d’enfants, d’êtres en devenir. Alors non, à la rentrée confinée, nous, pédagogues Freinet, nous n’irons pas sur le front de la « Nation apprenante » (sic), finir « quoi qu’il en coûte » (sic) les programmes scolaires de l’année, comme si « l’atmosphère éducative » (sic) était de mise. »
La FERC-CGT partage totalement cette analyse.
Posons-le clairement : enseigner par télétravail n’a rien d’instinctif et ne constitue une pédagogie ni efficace ni émancipatrice. D’ailleurs, ce n’est pas une pédagogie. Le terme « continuité pédagogique » est une arnaque de communication.
Outre le matériel et la formation nécessaires, pour les enseignant·es comme pour les élèves, une séquence en « télé-enseignement » n’aura jamais la même efficacité qu’une séquence en présentiel. Il y a dans un cours tellement de petits gestes, de remarques, de signaux qui sont le moteur de notre pédagogie. Ce sont ces interactions qui nous permettent d’aider les élèves à surmonter leurs incompréhensions, leurs erreurs, leurs difficultés. Ce sont aussi les interactions entre les élèves, tellement essentielles au processus pédagogique.
En télétravail, nous en sommes privés. Il faut donc anticiper beaucoup plus
tout en sachant que nous en laissons « sur le bord du chemin ».
Bien entendu, nous nous posons beaucoup de questions. A fortiori avec les pressions : pression extérieure, parfois, venant de notre hiérarchie intermédiaire ; pression personnelle souvent, que nous nous imposons ; pression donc pour tenter de construire une séquence pour du distanciel… tout en sachant son inefficacité.
La FERC-CGT considère qu’il est nécessaire de maintenir un lien avec les élèves. Rappelons que l’essentiel des « innovations pédagogiques » ne repose pas sur des innovations technologiques mais sur la révolution de notre manière de concevoir le travail. La technologie n’est pas forcément une ennemie de l’enseignement. Souvent instrumentalisée au service de politiques réactionnaires, dérivatif à la réflexion de fond, elle peut s’avérer un outil utile aux élèves et à leur diversité.
Pour la FERC-CGT, il s’agit donc, sur la question numérique :
- d’assurer un droit universel à la connexion haut débit de toutes et tous ;
- d’assurer un ordinateur individuel à chaque élève au frais de l’État pour tous élèves scolarisés ;
- d’équiper, aux frais de l’État, les personnels d’un ordinateur de travail individuel ;
- de créer des espaces numériques de travail fiables, sécurisés, gérés par le ministère ;
- de garantir le droit à la déconnexion des personnels ;
- de respecter les heures et ou les horaires de travail ;
- d’assurer par le ministère une formation adéquate pour le personnel enseignant (maniement de logiciels, classes virtuelles, etc.).
Sur le plan pédagogique :
- en finir avec des programmes encyclopédiques et travailler à la construction par les élèves d’une culture commune ;
- mettre en avant dans l’enseignement la co-construction des savoirs et savoir-faire par les élèves facilitant leur autonomie ;
- travailler à l’enseignement de la recherche documentaire et à la culture des médias ;
- reconstruire la notion d’évaluation, ses objectifs et ses modalités.
La formation professionnelle à distance ?
La formation professionnelle peut-elle être à distance ? Voilà la réelle question ! La formation professionnelle, qu’elle soit initiale ou continue, a pour objectif principal d’apporter une qualification à la personne formée.
Les contre-réformes successives, déjà, ne vont pas dans ce sens. Que ce soit la loi de septembre 2018 qui instaure la concurrence généralisée dans la formation professionnelle ou la réforme de la voie professionnelle des lycées, le seul objectif est l’employabilité.
Pourtant, a fortiori en période de crises (économique, climatique et donc sanitaire), la formation professionnelle est un atout afin d’avoir des salarié·es formés, y compris à de nouvelles formes de travail.
Mais la seule réponse gouvernementale est ailleurs : développer l’apprentissage, non pas pour qualifier les jeunes, mais pour masquer la crise économique et faire baisser artificiellement les chiffres du chômage. Le rapport de l’IGAS (écrit en avril 2020 mais publié en septembre) ne s’y trompe pas puisqu’il propose de financer l’apprentissage en, d’une part ponctionnant jusqu’à 200 millions d’euros par an sur le budget de l’Éducation nationale (permettant « l’économie » de 1850 emplois dans les lycées professionnels) et donc en utilisant l’impôt, et, d’autre part, en prenant de l’argent dans les OPCO qui sont des financements devant servir initialement à la formation des salarié·es.
Cette période pose deux questions : qu’ont apporté ces nouveaux modes de travail pour les salarié·es de la formation professionnelle (et pour les stagiaires de la formation professionnelle) et qu’elle est la pertinence d’une qualification acquise dans ces conditions ?
Pour la première question, nous vous renvoyons largement à l’article précédent sur la question de l’enseignement à distance. Les travailleur·ses ont dû travailler en mode dégradé, dans une désorganisation et improvisation totales dues à la crise. Dans nos secteurs, beaucoup ont dû travailler avec leurs propres outils et matériels, leurs propres connexions sans contrepartie de la part de l’État.
Dans le secteur privé, selon les organismes de formation, les organisations ont pu être totalement différentes et gérées de façon très hétérogène, mais toujours dans l’urgence, avec des outils non ou mal maîtrisés, tant par les personnels en CDI qu’en CDD.
Au-delà de ce constat, certains salarié·es ont découvert des façons de travailler qui leur ont convenu parfois car moins de fatigue due aux transports (en commun ou en voiture) et une autonomie dans la gestion de leur temps, mais qui ne sont pas satisfaisantes d’un point de vue pédagogique.
Cela permet de faire le lien avec la deuxième question. Notons que des modalités de formation professionnelle à distance existent déjà depuis longtemps. D’une qualité très variable, elles n’apportent pas des qualifications reconnues. Au mieux des certifications ou des « compétences » nouvelles. La crise sanitaire a fait basculer tout le système à distance.
Il est à craindre que de nouvelles périodes à distance aient lieu (parfois liées à la crise climatique et pas seulement pour des raisons sanitaires) et en tout état de cause les financeur·ses d’organismes de formation, publics et privés, en profitent pour préconiser fortement de telles formations : si les formations immersives ont le vent en poupe, faut-il encore que les formateur·trices, comme les stagiaires aient les outils adéquats.
La FERC considère que ces formations ne sont pas qualifiantes. Outre les aspects pédagogiques ignorés et développés précédemment, elles laissent trop souvent de côté l’ensemble des gestes techniques et professionnels. Elles laissent aussi de côté l’aspect social et collectif d’un métier.
Mais sans doute, est-ce là aussi un objectif que poursuit inlassablement « le grand patronat » : profiter de la crise pour faire totalement disparaître la notion de qualification et par conséquent les grilles de salaires qui pourraient s’y rattacher…
Se pose une fois encore le problème de la formation tout au long de la vie qui devrait permettre aux salarié·es de non seulement sauvegarder leur emploi, mais aussi de pouvoir s’émanciper…
Cela, semble-t-il, est devenu tabou car il n’est plus question d’émancipation de la part de la Macronie.
[1] L’ICEM est l’Institut Coopératif de l’École Moderne, fondé en 1947 par Célestin FREINET.