Reprise sans broncher par le gouvernement…
Le premier ministre et le ministre de l’économie ont annoncé une baisse des impôts de « production » à hauteur de 20 milliards sur deux ans. Il s’agit d’une vieille revendication du MEDEF, sous le prétexte traditionnel d’améliorer la compétitivité et l’attractivité de la France1 pour attirer les capitaux étrangers. Cette revendication a été relayée par une note du Conseil d’Analyse Economique (CAE) de 2019, considérée abusivement comme l’état de la science en la matière, sous la plume de deux économistes libéraux.
Ces préceptes se fondent sur une vision étroite et largement erronée de la compétitivité. Si on les suivait, seule une taxation nulle de l’activité économique serait acceptable, en l’attente d’une hypothétique harmonisation fiscale en Europe, voire dans le monde…
1) Impôts de production : de quoi parle-t-on ?
D’un montant de 72 milliards, les impôts de production recouvrent un ensemble hétérogène selon la note du CAE.
- 26 milliards d’impôts sur la masse salariale
- 25 milliards d’impôts sur le foncier
- 14 milliards de CVAE (contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, qui succède en partie à la taxe professionnelle)
- 4 milliards de C3S (Contribution Sociale de Solidarité des Sociétés, seul vrai [et minime] impôt sur le chiffre d’affaire.
On sait désormais que ce sont les impôts sur le foncier et la CVAE qui sont visés par la baisse. En dehors de cette note, ressortie comme un joker par Bruno Le Maire, il n’y pas eu de débat ni d’évaluation sérieuse des effets des impôts de production.
2) Les arguments gouvernementaux et patronaux pour ce « deuxième CICE »
1/ Les impôts de production sont plus élevés en France que chez nos voisins
C’est vrai. Mais c’est oublier, comme le souligne Christian Chavagneux d’Alternatives Economiques, que ce que la France prélève, elle le redistribue aussi très largement aux entreprises ! La France est donc aussi championne de la subvention à la production. Le patronat est, curieusement, beaucoup moins expansif sur ce sujet.
2/ La baisse des impôts de production permettra à l’économie française d’être plus compétitive et plus attractive
C’est la rengaine de Bruno le Maire. Problème : aucun lien solide entre baisse d’impôts et hausse de la compétitivité n’a jamais été établi. Quant à l’attractivité, nous renvoyons au mémo 44 : la France est déjà attractive ! Comme pour le CICE, les arguments sont très, très fragiles… Ce qui n’empêche pas le gouvernement de verser sans broncher des sommes importantes, puisqu’on parle quand même de 10 milliards d’€ par an pendant deux ans – soit l’équivalent de ce que coûterait une multiplication par deux du RSA.
3) Les effets à attendre de cette baisse
Comme pour le CICE, il n’y a pratiquement rien à attendre du point de vue économique de cette baisse. En revanche, les effets réels sont là aussi facilement identifiables :
- Maintien d’un régime de taxes et d’impôts favorables à l’évitement fiscal ;
- Encouragement de la multiplication des réseaux de sous-traitance ;
- Accroissement de la concurrence fiscale entre les pays, ce qui tire l’ensemble des pays vers le bas et diminue la capacité à financer les services publics ;
- Accroissement du besoin de financement des administrations publiques, et notamment des collectivités territoriales et de la sécurité sociale (déficit accru).
A l’inverse, le maintien et le développement des impôts sur la production et sur certains facteurs de production pourraient contribuer à orienter l’appareil productif vers une économie plus autonome et plus économe (nécessité absolue en vue de la transition écologique).
4) L’utilité des impôts de production
Plusieurs arguments peuvent être mobilisés pour défendre les impôts de production (et pour les étendre) !
- Un « bon » impôt sur l’activité économique est censé s’appliquer sur une base large et à des taux faibles ; c’est le cas avec les impôts de production.
- La production ne concerne pas que les entreprises mais l’ensemble de la société ; le progrès matériel dont bénéficient les entreprises s’est accompagné d’un investissement et donc d’une dette publique ; les entreprises voudraient le beurre (le progrès et les infrastructures) et l’argent du beurre (ne pas participer ni contribuer à ce développement).
- La « privatisation » d’une partie du sol ou de l’espace national à des fins de production justifie impôts, taxes et redevances
- Certaines productions peuvent avoir des inconvénients sur la santé et l’environnement ; il est donc légitime que ces activités contribuent à la réparation des dégâts qu’elles suscitent.
- Les taxes sur le chiffre d’affaire peuvent dissuader les entreprises de multiplier les réseaux de sous-traitance, au détriment des salariés et des consommateurs.
5) En finir avec la course folle à la compétitivité
Coût élevé, efficacité nulle… il n’est pas étonnant que ce projet de baisse des impôts dits « de production » suscite, en plus de la nôtre, l’opposition d’économistes non aveuglés par l’idéologie patronale, ou encore d’associations écologistes ou de plusieurs media. Car en définitive, cette énième baisse traduit l’incapacité du gouvernement de penser les problèmes économiques. Peu importe la question, la réponse sera toujours la même : il faut baisser les impôts et cotisations ! C’est bien commode, et cela économise tout effort de réflexion.
A l’inverse de cette tendance, nous opposons la nécessité d’une véritable politique industrielle, assise sur une planification forte et ambitieuse. L’organisation productive que nous devons construire mérite mieux que la sempiternelle chanson patronale du « trop d’impôts », qui ne se justifie nullement du point de vue économique et contribuera seulement à réduire les marges de manœuvre budgétaires du pays en faisant un seul gagnant : le patronat.