« Le 8 mars, on arrête toutes. » le mot d’ordre de l’appel à la « grève féministe » claque. « L’originalité de ce mouvement, c’est que cette grève ne se limite pas seulement au travail, mais à toutes les facettes de l’oppression subie par les femmes : l’inégalité de la répartition des tâches domestiques ou éducatives, l’éducation, les violences, le droit à l’avortement, l’accès à l’espace public… Il s’agit de montrer que si les femmes s’arrêtent, plus rien ne fonctionne ! », explique Anne Leclec, l’une des animatrices du mouvement.
Le 24 janvier, en pleine manifestation contre la réforme des retraites, les manifestants ont pu découvrir sur un immeuble une très grande banderole indiquant « femmes en grève, on arrête toutes #8mars #noustoutes ». Cet appel à la grève féministe s’inscrit dans un mouvement international qui montre bien la variété des luttes menées par les femmes à l’échelle mondiale.
En 2016, c’était les Polonaises qui lançaient l’action en se mobilisant contre une loi restreignant encore davantage le droit à l’avortement pourtant quasi inexistant dans ce pays. En 2017, les Argentines leur emboîtaient le pas pour dénoncer les violences sexistes. Mais c’est en Espagne que la mobilisation des femmes a été, en 2018 et 2019, impressionnante : jusqu’à 5 millions d’entre elles sont descendues dans la rue.
« Les organisations syndicales espagnoles ont joué un rôle majeur pour populariser le mouvement », souligne Anne Leclerc. En Suisse, le succès a aussi été au rendez-vous, même si la date choisie n’était pas le 8 mars mais le 14 juin, jour anniversaire de l’introduction de l’égalité femmes-hommes dans la Constitution.
Petite difficulté, et non des moindres, pour réussir la « grève féministe » cette année : le 8 mars va tomber un dimanche. Si, dans le commerce, à l’hôpital, de nombreuses femmes travaillent, ce n’est toutefois pas simple d’en faire une grande journée de mobilisation dans les entreprises. Cette « grève féministe », qui prendra essentiellement la forme d’initiatives dans l’espace public, sera sans doute, en 2020, placée sous le signe de la lutte contre la réforme des retraites, les femmes faisant partie des grandes perdantes de la retraite à points.
En 2017, les femmes percevaient une retraite de 29 % inférieure à celle des hommes ; cet écart montait même à 42 % si les pensions de réversion n’étaient pas intégrées (Les retraités et les retraites, édition 2019 de la Drees). Si la réforme passe, l’intégralité de la carrière sera prise en compte et non plus les 25 meilleures années dans le privé, et les six derniers mois dans le public.
Les carrières hachées des femmes seront alors encore plus lourdes de conséquences à l’heure de la retraite. Si on ajoute à cela les modifications des règles d’attribution de la pension de réversion et notamment, à partir de 2025, la suppression de celle-ci pour les femmes divorcées, l’écart entre les pensions des femmes et des hommes va encore augmenter.
La mise en évidence de l’impact catastrophique de la réforme des retraites pour les femmes remet un coup de projecteur sur les inégalités subies tout au long de leur vie professionnelle. Elles continuent à être beaucoup plus exposées aux temps partiels : 30 % des femmes ont un emploi à temps partiel contre à peine 8 % des hommes (Enquête emploi en continu, Insee, 2014-2018). Les inégalités professionnelles ne sont pas – loin s’en faut – limitées aux seuls emplois précaires, elles touchent aussi les postes d’encadrement.
Une récente enquête du Centre d’études et de recherche sur l’emploi et les qualifications (Cereq) mettait en évidence que 7 ans après la fin de leurs études, les femmes cadres étaient désavantagées par rapport à leurs collègues hommes : alors qu’elles représentaient, en 2010, 55 % des sortants de l’enseignement supérieur, en 2017, elles ne comptaient que pour 40 % des managers.
Toutes choses égales (diplôme, localisation, nombre de mois d’expériences…), les hommes ont 1,75 fois plus de chances d’accéder à des responsabilités hiérarchiques que leurs homologues femmes et ils dirigent souvent des équipes plus importantes (30 % des managers hommes encadrent des équipes de plus de 10 personnes contre 24 % pour leurs consœurs).
Alors que l’arrivée d’un enfant est perçue pour un homme comme une entrée dans l’âge de la responsabilité et s’accompagne souvent de promotion, il n’en est pas du tout de même pour les femmes.Celles-ci continuant d’assurer les deux tiers des tâches familiales, elles sont soupçonnées d’être moins disponibles pour l’entreprise. Cette discrimination, source d’inégalités professionnelles peine à se résorber. Elle est cependant de moins en moins acceptée par les intéressées.
« Dans mon établissement, quand tu dépasses les 6 jours d’absences autorisés pour “enfants malades” , ta prime baisse, c’est assimilé à de l’absentéisme. Et le reliquat des primes non distribuées est réparti entre les collègues. Comme ce sont très majoritairement les femmes qui prennent ces journées, elles sont perdantes. C’est particulièrement vrai pour les mères seules ! », s’indigne Fatima (à la demande de la personne, son prénom a été modifié), infirmière dans une clinique privée à but non lucratif. « Il faut absolument que nos syndicats s’attaquent à ça ! »
Le poids de la charge mentale
Les inégalités de la répartition des tâches domestiques, lourdes de conséquences sur la carrière professionnelle, ne reculent qu’à la marge. Entre 1986 et 2011, la part du travail domestique et parental assuré par les femmes est seulement passée de 71 % à 66 % (Enquête emploi du temps, Insee, 2010-2011).