C’est la musique du déconfinement. Le MEDEF, main dans la main avec le gouvernement, demande à augmenter le temps de travail pour favoriser la reprise.
Mais c’est sans doute la pire chose à faire.
Une attaque coordonnée contre les droits du travail
Des think-tanks financés essentiellement par le patronat (IFRAP, Institut Montaigne), au patronat lui-même, en passant par des députés, les voix s’élèvent pour demander ci le passage à 37h, là l’abandon des RTT ou des congés payés ; en somme : il va falloir travailler plus ! Le raisonnement est simple (et même simpliste) ; pour rattraper la baisse de production liée au confinement, il suffit de… travailler plus (mais cette fois sans gagner plus) !
Comme la plupart des idées qui tombent sous le sens, celle-ci aussi est dénuée de fondement.
Travailler plus… mais pour vendre à qui ?
Le premier point a trait à l’aveuglement (sans doute conscient) du patronat sur l’état de l’économie. Les ménages ont vu leurs revenus diminuer (soit du fait de l’activité partielle, soit du fait de la perte d’emploi principalement) et on compte déjà 620 000 destructions nettes d’emploi selon l’OFCE [1].
Dans le même temps, une épargne importante (d’au moins 55 milliards d’euros) a été accumulée par les ménages ce qui limite d’autant plus les débouchés des entreprises. Rajoutons l’atonie de l’économie mondiale, et nous avons un tableau d’ensemble de la situation : un déficit de la consommation des ménages et de l’investissement des entreprises qui conduit tout droit à la récession.
À quoi bon produire plus en travaillant plus si c’est pour vendre moins ? Il n’y a aucune logique économique à vouloir « mettre les bouchées doubles », pour reprendre les mots de la secrétaire d’État auprès du Ministre de l’Économie et des Finances, quand les perspectives d’activité sont faibles. Même le patronat, s’il n’était pas pétri dans son idéologie, le reconnaitrait sans mal.
Travailler plus… pour accentuer la hausse du chômage ?
Le deuxième point est bien sûr la stupidité de favoriser les heures supplémentaires alors que se profile le spectre du chômage de masse. Nous avons déjà montré qu’en 2018, les heures supplémentaires représentaient au moins 542 000 emplois à temps plein [2].
Appeler à augmenter les horaires et les cadences, c’est de facto accepter que le chômage augmente. Or le chômage c’est bel et bien le problème central. On ne réalise pas assez que 620 000 chômeurs-euses de plus alors même que 12 millions de salariés ont bénéficié de l’activité partielle est un chiffre très important. Les destructions d’emploi ne peuvent que s’accentuer si aucune politique économique ambitieuse n’est mise en place. Si la relance de la production ne vise pas à favoriser l’emploi, à quoi sert-elle alors ? C’est à cette question que le patronat aurait bien du mal à répondre.
Partager le temps de travail doit faire partie de l’arsenal de sortie de crise
C’est bien la stratégie inverse qu’il faut mener ; au lieu de favoriser la hausse du temps de travail, il faudrait organiser sa répartition. Les avantages économiques de la réduction du temps de travail sont connus : elle contribue à créer directement des emplois (+ 350 000 emplois directs au moment du passage à 35h) ; elle améliore la santé et la productivité des salariés ; elle augmente leurs qualifications. [3]
Qu’on soit clair : réduire le temps de travail ne peut se faire sans politique productive globale (ce qui impliquerait une forme de planification) ni sans investissement public massif dans des secteurs clés du point de vue environnemental. C’est la seule manière de diminuer d’éviter l’explosion du chômage. C’est aussi à des lieues des dogmes partagés par le gouvernement et le patronat.
La bataille pour la réduction du temps de travail est ancienne, et elle donne toujours lieu à des luttes intenses. Le déconfinement en fera partie.
[2] Voir le « baromètre éco », page 15 https://www.cgt.fr/sites/default/files/2020-02/Barometre%20%C3%A9co%20CGT.pdf