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François Jarraud jeudi 12 mars 2020
L’offensive de la Cour des Comptes sur le statut des enseignants
Pour un coup efficace, il ne suffit pas d’avoir des idées. Il faut aussi avoir le bon outil politique et choisir le bon moment. C’est ce qu’applique la Cour des Comptes à propos du statut des professeurs du second degré. Les idées ont déjà été avancées par la Cour : annualiser les services, imposer la bivalence, fermer les petits établissements. L’outil c’est un référé publié le 11 mars adressé à JM Blanquer. L’attaque a lieu au bon moment, alors que JM Blanquer veut troquer « un nouveau métier enseignant » contre les 200 millions de la revalorisation 2021. Et surtout au moment où les enseignants semblent à genoux, prêts à accepter la perte de leur retraite.
Un référé sur le lycée professionnel
Ce n’est pas la première fois que le Cour des Comptes demande de revoir le statut des enseignants. En fait le sujet revient régulièrement tous les deux ans : 2013, 2015, 2017. En 2018, la Cour a publié un rapport sur l’évaluation de l’Ecole qui prenait la question du statut sous un angle nouveau. Depuis 2013, la Cour demande l’annualisation des services, la bivalence et le regroupement des établissements et des écoles avec constance
Ce qui est nouveau c’est l’angle d’attaque et la méthode. La Cour traite de l’enseignement professionnel. Mais on verra comment elle passe des PLP à tous les certifiés. Pour transmettre ses idées, la Cour estime que le fruit est suffisamment mur. C’est donc un référé, et non un rapport, qu’adresse la Cour à JM Blanquer. Le ministre a deux mois pour faire une réponse qui sera publiée. Et le tout est transmis par la Cour au Parlement. On entre donc avec le référé dans un processus qui peut conduire à une loi cet été, exactement au moment où le ministre devrait introduire sa loi de programmation avec le nouveau métier enseignant.
Le référé de la Cour des Comptes concerne officiellement le lycée professionnel jugé en échec. » Les conditions d’insertion dans l’emploi des jeunes issus de la voie professionnelle sont restées décevantes », estime la Cour, cela en raison de « la césure persistante entre l’école et l’entreprise due notamment aux réticences d’une partie du corps enseignant à encourager l’apprentissage sous statut scolaire ». L’offre de formation des LP est « trop statique » avec des filières aux débouchés fermés mais au public nombreux.
Surtout, « le coût annuel du lycéen en formation professionnelle est 15 % plus élevé que celui du lycéen général ou technologique. Les exigences pédagogiques justement liées à la formation n’expliquent que très partiellement ce surcoût. Celui-ci est largement imputable à des choix et rigidités dans l’organisation de l’offre de formation : une taille des lycées professionnels inférieure de moitié à celle des lycées d’enseignement général et technologique (LEGT) ; l’ouverture de structures soit pour maintenir une offre de proximité, soit pour répondre à des besoins locaux de faible intensité ; la multiplication de dédoublements de classes « . Tout cela justifie que les propositions de la Cour des Comptes.
Passer par les PLP pour casser le statut des certifiés
La Cour propose de faire évoluer le statut des PLP en présentant cette évolution comme leur intérêt. Elle relève que « le statut (des PLP) partiellement aligné sur celui des professeurs certifiés du second degré, reste cependant singulier comme celui des personnels d’inspection les concernant. Cette singularité contrevient au principe affirmé « d’égale dignité des voies de formation » et pose de multiples problèmes de gestion, entrainant une perte globale d’efficience des moyens enseignants. En raison de leur statut particulier, les professeurs de lycée professionnel (PLP) ne peuvent enseigner que devant des classes de CAP, BEP, Bac Pro, de section de techniciens supérieurs (STS) et de licences professionnelles… Ils restent ainsi limités à l’enseignement professionnel du second degré, ce qui réduit leurs possibilités d’évolution de carrière et de mutation… Cette gestion séparée du corps des professeurs de l’enseignement technologique et de celui des professeurs de l’enseignement professionnel paraît dépassée. Il en résulte en outre pour ces enseignants un fort sentiment de déclassement et de manque de considération. ». D’où la suggestion de « fusionner les corps des PLP et des certifiés ».
L’objectif final n’est pas vraiment caché dans le référé. Il s’agit d’imposer à ce nouveau corps la bivalence qui existe déjà chez les PLP. Faute d’avoir pu faire entrer la bivalence chez les certifiés avec ses rapports précédents, la Cour passe par le détour des PLP pour atteindre son but : étendre la bivalence au collège.
Cette proposition touche directement à l’identité des enseignants du second degré qui est disciplinaire. En demandant aux certifiés d’enseigner deux disciplines on considère comme nulle leur formation disciplinaire qui est quand même de niveau master. Et on considère que n’importe qui peut enseigner n’importe quoi, le professeur de maths pourrait enseigner les SVT et celui de français l’histoire, comme s’il n’y avait pas de savoirs savants derrière ces mots. Evidemment en généralisant les bivalences on arrive à une gestion plus intéressante des postes. En 2013 la cour avait calculé que la mesure générerait immédiatement l’équivalent de 2482 emplois au collège.
Le second point c’est l’annualisation. » La Cour a à nouveau relevé lors de cette enquête les difficultés dues au cadre hebdomadaire et incomplet des obligations de service des enseignants. Elles sont, pour les enseignants des lycées professionnels, en contradiction avec les besoins propres de cet enseignement, notamment pour accompagner les parents et les élèves dans la recherche des entreprises et surtout suivre les périodes de formation en milieu professionnel (PFMP)… Au surplus, l’administration ne tire pas, en l’état, actuel les conséquences de cette inadéquation : les heures d’enseignement non réalisées par les enseignants lorsque les élèves sont en entreprise ne sont pas suffisamment décomptées et elles ne sont pas redéployées vers d’autres besoins pour compléter leur service ». Là aussi il s’agit de l’imposer aux PLP pour ensuite l’étendre au nouveau corps fusionné de PLP et certifiés.
L’annualisation peut sembler neutre. En réalité elle a un impact important sur la vie privée des enseignants. Beaucoup ont fait le choix de ce métier justement parce qu’il donne une certaine liberté dans la gestion du temps. L’annualisation veut dire que le chef d’établissement pourra jouer des horaires des enseignants comme il voudra. Mais c’est aussi un moyen de récupérer des moyens gratuitement. Aujourd’hui l’enseignant a un horaire précis. Il ne doit pas ses heures si elles tombent un jour férié ou s’il est convoqué à un conseil de classe sur l’heure d’un cours, ou encore s’il est convoqué à un examen ou si les élèves sont libérés pour une raison quelconque, par exemple pour réviser un examen. Avec l’annualisation, ces heures sont dues. C’est environ 10% de moyens supplémentaires dégagés.
Fermer les petits établissements
Le troisième point du référé concerne les lycées professionnels. » La Cour estime que les difficultés de mise en oeuvre des réformes successives tiennent pour partie à un cloisonnement excessif du système éducatif qui conduit à une hiérarchisation implicite des différentes voies de formation ». Elle propose donc un lycée « inclusif » regroupant toutes les filières. Mais le premier pas c’est la fermeture des lycées professionnels de moins de 500 élèves.
On est là devant une mesure de rationalisation qui est ancienne à la Cour des comptes et qui viserait rapidement aussi les collèges et les petits lycées. Evidemment les petits établissements coutent plus cher par élève que les grosses structures. Mais s’ils existent ce n’est pas par hasard.
A la différence des lycées généraux et technologiques, il y a énormément de formations différentes en LP et les lycées sont donc très spécialisés. Par conséquent les lycéens professionnels font de longs trajets pour atteindre le lycée proposant la formation qu’ils désirent. Fermer les lycées professionnels de moins de 500 élèves aboutirait à créer de véritables déserts de la formation. Pour en avoir une idée il faut savoir que sur 819 LP publics, 582 ont moins de 500 élèves. Mais l’effet serait encore plus dévastateur dans le privé : sur 601 LP privés, seulement 21 survivraient !
C’est peut-être ce qui pousse la Cour à envisager des lycées « inclusifs ». L’idées est séduisante. Effectivement regrouper dans une même structure lycées général, technologique et professionnel a des avantages en termes économiques mais aussi sur le plan humain. Par exemple c’est un moyen de réduire le décrochage et ça donne plus d’indulgence envers les élèves en retard. Mais c’est une mesure qui doit être bien réfléchie dans un système scolaire qui est concurrentiel avec un privé puissant et qui échappe à la règle commune. Aujourd’hui ce sont les enfants des familles pauvres que l’on trouve en LP. Ils sont parqués dans cette voie particulière. Demain les intégrer dans les autres lycées serait une grande mesure de justice sociale… ou d’aggravation de la concurrence et de la hiérarchisation des établissements. Le référé recommande plutôt de « fusionner » les LP… avec les inconvénients que l’on a mentionné.
Ces « recommandations » sont envoyées au ministre sous forme de référé. Il doit y répondre dans un délai de deux mois. Le dossier passe ensuite au Parlement qui peut, en se basant sur le référé et la réponse, prendre l’initiative d’une proposition de loi.
Au moment où JM Blanquer veut lancer « un nouveau métier » enseignant, la Cour lui apporte une aide puissante. Elle est en accord avec le calendrier du ministre qui veut proposer une loi cet été. Ce référé est donc loin d’être anodin. Il vise à en finir avec le statut enseignant au moment où le gouvernement se sent assez fort pour en finir aussi avec leur retraite comme il a réussi à enterrer leurs commissions paritaires. Tout semble possible.
François Jarraud
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