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12 janv. 2020 Par Marianne19 Blog : Le blog de marianne19
Monsieur le ministre de l’Education Nationale,
Je suis élève de première au lycée Marcelin Berthelot de Saint-Maur, et je fais partie de cette année « cobaye » de la réforme du bac 2021 dont vous et votre cabinet êtes les responsables. Et en qualité de cobaye, je souhaitais vous faire un compte-rendu de vos expérimentations, ou du moins vous donner mon ressenti.
La première chose qui me frappe dans cette réforme c’est sa rapidité. Elle a été appliquée très vite, peut-être même trop vite. On le ressent parce que beaucoup de questions que nous nous posons en tant qu’élèves restent sans réponses. Non pas parce que nous ne nous donnons pas la peine de demander mais parce que personne n’en a, de réponses. Nos professeurs sont aussi déboussolés que nous et même vous, l’année dernière quand vous êtes venus dans notre établissement pour nous présenter la réforme, vous nous avez laissé aussi interdits que lorsque vous êtes arrivés. J’avais moi-même posé une question qui était restée sans réponses. Or, comme le dit La Fontaine que vous avez mis au programme de français de cette année « Rien ne sert de courir, il faut partir à point. » Bien sûr, je me doute que cette réforme a été appliquée avec tant de hâte pour une stratégie électorale mais il y a tout de même des élèves et des professeurs qui en subissent les nombreuses failles.
Cette vitesse se manifeste aussi au quotidien. Les cours vont trop vite pour l’amas de connaissances que le programme nous demande d’intégrer. Les programmes sont riches et ambitieux, oui, mais ils sont surtout infaisables. Les professeurs nous le répètent et nous nous en rendons bien compte. En histoire-géographie, la professeure est contrainte de nous envoyer des polycopiés pendant les vacances à travailler seuls et qu’elle évoque rapidement en classe. En SVT, la professeure nous a dit que le programme n’était même pas de la vraie SVT et va à une vitesse vertigineuse, les cours s’entremêlent et elle n’a pas le temps de s’attarder sur certaines notions pourtant importantes et indispensables, si bien qu’elle a dû mettre en place une heure supplémentaire de soutien ou la moitié de la classe se rend, littéraires comme scientifiques. J’ajouterai à propos de l’enseignement scientifique, qu’il est impossible pour un élève n’ayant aucune spécialité associée à la filière S de retenir et, ce qui est plus important, de comprendre si on ne lui octroie pas plus de temps ou si on ne simplifie pas les programmes étant donné que même les élèves scientifiques peinent à la comprendre.
Le temps octroyé aux épreuves est trop court également. L’exemple de l’épreuve de langue où nous ne bénéficions que d’une heure pour réaliser une compréhension orale et une expression écrite en est l’exemple le plus flagrant, et bis repetita en histoire-géographie. Ces épreuves nous limitent à fournir un travail bâclé. Et, personnellement, je préfère rendre un travail bien fait. Nous avons également, avant les vacances, travaillé sur un sujet 0 de LLCE pour préparer l’épreuve de fin d’année que certains d’entre nous allons passer. Nous étions censés réaliser cette épreuve en 2 heures et force était de constater que c’était impossible. L’épreuve de LLCE est une épreuve de littérature ce qui signifie qu’elle demande un certain temps de réflexion à la fois pour réunir les connaissances et organiser ses idées. Là, on n’a pas le temps de le faire. On n’a pas le temps de mettre à profit les enseignements dont on a bénéficié. On a juste le temps de recracher des phrases toutes faites ce qui est contraire au principe même de l’enseignement des spécialités littéraires ou contrairement aux mathématiques on ne nous demande pas d’apprendre des formules mais à construire une réflexion. Et puisque je parle des épreuves je vais continuer sur ma lancée et aborder le sujet des E3C. Tous les élèves et les professeurs s’accordent sur le fait que les épreuves arrivent très vite, trop vite pour des épreuves officielles. Si vite qu’on ne sait même pas de quoi on parle. Les informations, en revanche, prennent tout leur temps pour arriver jusqu’à nous. Il n’y a qu’à voir le retard, toujours grandissant, avec lequel les banques de sujets se sont ouvertes, en résumé vous nous donnez des épreuves et des difficultés à surmonter mais vous ne nous donnez pas les armes pour nous y préparer. Et ces armes en particulier nous ne pouvons pas les inventer nous-mêmes.
Passons maintenant aux enseignements de spécialités si vous le voulez bien. Là encore la vitesse est de rigueur. Après à peine trois mois on nous demande d’en abandonner une. Tout se joue après trois mois. Mais pensez-vous qu’on a décidé de son avenir à 16 ans ? Vous rendez-vous compte du champs des possibilités qui se restreint si on abandonne des options ? D’autant plus que nous ne sommes pas au courant de ce que les universités demandent. Vous présentiez cette réforme comme l’offre d’une plus grande liberté et pourtant vous nous restreignez dès le premier trimestre.
Sur les spécialités, une autre plainte revient souvent : le niveau est trop élevé ? Sont-ce les élèves qui sont trop bêtes ou les programmes qui sont trop ambitieux. D’après les professeurs, nous devrions plutôt nous pencher sur la deuxième option. Les moyennes de mathématiques de mes camarades de classe ayant pris cette option ont diminué parfois de moitié, en littérature anglaise, on nous donne des textes de Shakespeare en guise de sujet 0, c’est tout simplement bien trop complexe. Bien-sûr nous nous attendions tous à devoir franchir un certain fossé quant à l’augmentation des difficultés entre la seconde et la première, ce n’est plus un fossé c’est un gouffre. Pourtant tout le monde essaie, et tout le monde angoisse face à cette pression permanente.
Le contrôle continu alimente cette pression. Dorénavant nous ne venons pas au lycée pour apprendre ou progresser mais pour être évalués en permanence. Toutes les conversations tournent autour des notes et du stress. Les élèves sont si anxieux qu’ils révisent leurs évaluations de spécialités pendant les cours du tronc commun. Quand on parle de nos week-end, on parle de nos révisions. Nous avons 16 ans. Nous ne pouvons et nous n’avons pas à subir ce stress énorme en permanence. Avant, le bac dépendait d’un enseignement maintenant l’enseignement dépend du bac.
Certes il y a vos chiffres et vos théories mais il y a les faits et la réalité. Cette réalité ce sont nous les élèves et les enseignants qui la vivons et c’est donc nous qu’il faut écouter. Si des élèves et des professeurs se plaignent de la réforme ils ont leurs raisons. Il faut penser à tous les élèves et faire en sorte que tout le monde passe son bac en pleine sérénité.
Mais ne parler de cette réforme qu’au niveau de son non-aboutissement et du stress qu’elle engendre serait réducteur, et de ma part plutôt égoïste.
Dans tout ce processus je fais partie des chanceuses. Je suis dans un très bon lycée qui offrait un très large choix de spécialités et où nous sommes suivis et mes résultats suivent à peu près ceux que j’obtenais l’année dernière. Mais si on ne s’appuie que sur le sort des privilégiés on n’avancera jamais. Je ne vous apprends rien en vous écrivant qu’il existe une énorme disparité entre les lycées français. Certains sont meilleurs que d’autres et font davantage joli sur Parcoursup. Avant cela n’avait pas trop d’importance. Tous les lycéens français passaient le même bac et toutes les copies valaient la même chose. Aujourd’hui, avec les E3C variant selon les établissements et le contrôle continu, vous piétinez la notion d’égalité des chances et donc de l’école républicaine. L’école républicaine se doit d’assurer l’égalité des chances entre tous les citoyens. Nous sommes actuellement sous une République et nous parlons du domaine de l’école alors pourquoi cette réforme supprime-t-elle l’égalité des chances ? Pourquoi trois années de lycée à Berthelot vaudraient-elles plus que trois années passées dans un autre lycée moins prestigieux dans une ville moins aisée. Pourquoi serions-nous jugés sur l’endroit d’où nous venons plutôt que sur nos compétences ? L’école républicaine servait de passerelle aux jeunes les moins socio-spatialement favorisés. Avec cette réforme, vous donnez tout à ceux qui ont déjà tout eu et privez ceux qui n’avaient déjà pas grand-chose de pratiquement toute possibilité de s’en sortir grâce aux études. L’école devient une formalité pour nous répartir dans les universités au lieu d’être une passerelle. Mais ce n’est pas le seul principe que vous piétinez. Aujourd’hui un certain nombre de proviseurs ont demandé aux enseignants de préparer leurs élèves sur les exacts sujets qui seront présentés aux E3C, c’est de la fraude, on incite à tricher éhontément à cause de cette réforme. Où est l’égalité ? Cette réforme c’est la fin de l’égalité des chances, c’est le bafouement même de toutes les valeurs et principes défendus par l’éducation.
C’est pourquoi je vous demande de supprimer les épreuves d’E3C ce qui manifestement ne devraient pas être un énorme sacrifice pour vous. En effet, selon vos dire nous n’avons pas à nous en soucier puisqu’elles ne représentent que 2% de la note finale et ne sont pas décisives.
Je demande également le rétablissement du bac comme national.
Je refuse que ma vie scolaire comme personnelle dépende de mes notes, je refuse de passer mon bac tout en sachant que celui-ci est le symbole d’une inégalité entre tous les élèves de France, et je trouve aberrant d’avoir à subir une réforme non aboutie qui n’a manifestement pas été conçue en pensant aux élèves et aux professeurs. Je me demande alors bien à quoi elle sert et qui elle sert.
Une élève de première générale