8 sept. 2019 Par Francois.poupet Blog : Le blog de francois.poupet
La défense syndicale des personnels est bien souvent un joli sport de combat, où l’on prend plein de coups, mais où l’on en rend aussi…
J’ai eu ici envie de déposer un peu les armes, pour prendre la plume…sous forme d’un bon vieux clavier numérique. Histoire de faire un pas de côté, en somme. Une façon de mettre en mots, en pensées, ce qui nous traverse.
Ce qui suit doit donc être lu comme une respiration, un peu vive, avec un soupçon d’alacrité.Le dialogue social prend souvent, si l’on regarde les choses avec un peu de décalé, les allures d’un bestiaire. Je vous laisse ruminer pour l’instant sur ce à quoi ressemble la figure du syndicaliste lorsqu’il prend les allures d’un animal…
Je m’attaquerai ici, dans ce qui n’est pas une fable, à la faune étrange de la hiérarchie, faite de rois des savanes, ou de petits loups de Poméranie… Je voudrais ainsi « cristalliser » quelques-unes des ruses conscientes ou inconscientes utilisées par « l’Adversaire », que l’on appelle si joliment « N » dans le volapuk managérial… N+1, N+2… Du zéro à l’infini…Mais plutôt à l’envers. Bref, je souhaiterais donner corps à cette cible mouvante qu’est le management par l’évanescence.
Première figure (imposée) : l’Autruche
Je le vis « sur le terrain » comme tout un chacun…qui « s’occupe » de syndicalisme. La première technique du « manager », c’est de planter son bec dans le sable de l’enlisement, de l’aveuglement…Un souci dans l’organisation du travail ? Un collègue en désespérance ? En burn out (le mot valise par excellence) ? Vite, cachons-nous dans les replis de notre bureau, derrière les mails de notre ordinateur. « Il n’y a pas de problème », en effet. Ou plutôt, comme le soulignait justement Henri Queuille : « Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout ».
Peu importe « qu’en bas », on se désespère (et Billancourt avec), peu importe, au fond, que les personnels usent toute leur énergie à s’enliser, que le service à l’usager (pour le Public) soit altéré… L’important, c’est que…rien ne change…pour que…rien ne change. Bref, en termes de psychologie, vous avez reconnu l’image même du déni. Cet aveuglement, on le retrouve à la fois à hauteur d’individu, mais aussi au sein même de l’institution…qui ne peut ni ne veut reconnaître qu’elle ne maîtrise pas les choses. En quelque sorte, nous sommes dans le tragique de l’hybris (de la démesure), doublé d’une incapacité à « lâcher prise », à reconnaître que l’on est dépassé (stricto sensu). Au fond, nous sommes dans l’incompétence, mais qui ne s’avoue pas.
Du coup, voilà bien une deuxième figure qui s’impose, celle du Paon.
Regardez comme je « fais » bien les choses…Comme je suis beau en mon miroir social… Majestueux. Et d’ailleurs, vous ne l’ignorez pas, je me soucie de vous : j’ai même développé tout un processus de QVT (que voilà un charmant acronyme !). Qualité de Vie au Travail : l’expression est faible. Je vous promets le bonheur ! De jolis petits canapés colorés dans un coin du bâtiment, un baby-foot, une cellule d’écoute de je ne sais quoi… Et puis, et puis, un joli CHSCT… Bon, par contre, ce qui serait bien, c’est que l’on évite de faire remonter les problèmes. Donc, les fiches de registres des agents (RSST), on fait un beau trou, et on essaye de les mettre dedans, s’il vous plaît. Pour les visites de sites, on les fera…si les syndicats sont pugnaces et les réclament à corps et à cris. Oui, que nous sommes beaux ! Dans nos atours du dialogue social, dans le silence des souffrances tues, des risques psychosociaux réduits là encore à un acronyme (RPS). Tout est lisse, sans orbe, à la surface des choses, dans le monde éthéré de l’Établissement, où nous sommes « des gentils collaborateurs » : pas de grain qui crisse entre les rouages. Seulement des corps et des psychés pris en tenailles parfois, mais qui ploient, se plient, se replient… Au fond, un travailleur, ce n’est qu’une ressource comme une autre. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons des DRH, des Directions des Ressources Humaines.
Bien sûr, il y a quelques « accidents » : mais on sait taire. Tout le monde sait le faire, se taire : la hiérarchie comme les collègues. Le silence est d’or et complice, dans la tiédeur des lâchetés et des peurs.
Le Paresseux
Dernière posture des petites mains de la hiérarchie (et même des Rois en leurs palais), l’alanguissement. Une objurgation répétée des représentants du personnel en CHSCT ? Quoi, il faudrait prendre des dispositions pour prévenir une situation pathogène sur le lieu de travail ? Mais bien sûr, bien sûr… Ils ne s’excusent même pas du retard qui n’est plus un retard. On ne demande pas aux petits marquis et aux courtisans de pencher le front, de nos jours. Ils bottent en touche, ils procrastinent, ils lénifient, ils endorment, dans l’attente de la résolution magique du problème : un arrêt-maladie prolongé du travailleur en souffrance, par exemple. Mieux, une démission. Pour le suicide, c’est une éventualité…comme une autre.
C’est de ces petites paresses animales que sont faits les drames des hommes et des femmes pris dans l’entonnoir d’un travail mal organisé ou inadapté. C’est de cette incurie ou impéritie que naissent des collectifs de travail pathogènes, dévorés par des tensions interpersonnelles, minés par des arrêts-maladie répétés. Finalement, pour le syndicaliste, il faut se faire renard, et avoir une tête de cochon pour remporter de petites victoires, qui sont celles de ces collègues.
Mettre Paris en bouteille, et le reste de la France avec…
Bien sûr, avec des « si », on mettrait Paris en bouteille : et pourtant, si seulement les travailleurs étaient tous un peu renards à tête de cochons, la haute cour du poulailler et du bestiaire en prendrait un bon coup sur le museau, non ?
D’où l’importance de se syndiquer et de s’engager, je crois.
François Poupet, syndicaliste CGT à l’Université de Nantes.