Comment ne pas s’étonner, quand on est syndicaliste, qu’il faille une étude colossale (pendant 5 ans auprès de 16 000 salarié·es, dans 4500 entreprises) pour enfoncer, certes magistralement, une porte ouverte ! Ce sont les salarié·es les moins qualifiés qui ont le moins recours aux droits à la formation continue. Restitution le 7 décembre dernier, de l’enquête Dispositif d’Enquêtes sur la Formation et Itinéraires des Salariés (DEFIS).
Financée par de l’argent de la formation via le FPSPP [1], cette étude démontre une nouvelle fois, le diagnostic partagé depuis longtemps [2] : ce sont les moins qualifié·es qui ne bénéficient pas de la formation continue. Malgré les réformes récurrentes (2003, 2009, 2014, 2018) rien n’y fait, si ce n’est d’accentuer les inégalités. La dernière en date, la bien mal nommée « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » relève de l’oxymore. De quelle liberté jouit-on, lorsque l’on est soumis au lien de subordination ? Depuis l’obligation légale de 1971 de financer la formation des salarié·es, le patronat a sans vergogne abusé de la méthode : « qui paie, commande ! ».
Donc ce sont les cadres masculins des grandes entreprises qui bénéficient des budgets alloués à la formation. La création d’un Droit Individuel à la Formation (DIF) qui avait donné lieu à un débat controversé au sein de la CGT (qui avait finalement signé ANI) n’a pas atteint les ambitions initiales. Sa transformation aujourd’hui en Compte Personnel de Formation (CPF) monétarisé [Cf. Le lien 196] ne changera rien au pouvoir des employeur·ses d’accorder ou pas le départ en formation d’un·e salarié·e.
En effet ce que démontre cette enquête DEFIS, si 68 % des salarié·es aspirent à la formation, seulement 31 % en font la demande. Mais l’utilité de se former, pour évoluer par exemple, n’est pas la même pour les ouvrier·es – employé·es que pour les cadres. Pour les moins qualifié·es, la formation est centrée sur le maintien dans l’emploi, sans forcément prendre en compte les aspirations de la personne en termes d’évolution professionnelle. Par ailleurs, le contexte (Cf. tableau 4) de l’entreprise est important. Ainsi, il y a deux fois plus de chances d’accéder à la formation, lorsqu’il y a des Institutions Représentatives du Personnel (IRP) dans l’entreprise. Seulement 25 % des salarié·es connaissent le Conseil en Evolution Professionnel (CEP) obligatoire depuis 2014 !
Et bien sûr, sans surprise pour nous syndicalistes, « les situations professionnelles fragiles (salariés en contrats précaires, risque de perte d’emploi) sont défavorables à l’expression de demandes de formation. Pour autant, elles n’entravent pas les attentes des salariés vis-à-vis de cette dernière. […] Les salariés enchaînant des contrats courts ont à la fois moins de chances d’accéder à une formation financée par l’employeur, mais aussi moins de possibilités de suivre une formation qualifiante financée par la collectivité » [3].
En effet, en absence d’une offre publique, le non recours aux droits est manifeste, et il est particulièrement sournois de parler « de faible appétence pour la formation ». La liberté de choisir son avenir professionnel n’est qu’une illusion, la preuve est faite qu’« entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit » [4]. Une double peine donc, pour les personnes les plus éloignées du marché du travail, que seul un grand service public de formation tout au long de la vie (AFPA, CNAM, GRETA) pourrait préserver, en garantissant un véritable droit d’accès à la formation professionnelle en tout moment et en tout lieu, sur tous les territoires. A quand une étude pour montrer l’efficacité sociale de cette revendication ?