Le gouverneMENT promet une réforme systémique pour « plus de simplicité et d’équité ». En fait, il s’agit de baisser les pensions pour plaire au patronat et à Bruxelles.
1 Le projet :
« Nous créerons un système universel de retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits », clamait Emmanuel Macron en pleine campagne électorale l’an dernier. Simplicité, lisibilité, équité : le triptyque vanté par l’exécutif laisse rêveur… L’objectif étant d’unifier les régimes existants (public, privés, spéciaux) pour aboutir à un dispositif universel. Fin avril 2018, jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, lançait les consultations sur le sujet, avec une loi-cadre prévue pour début 2019, et une mise en œuvre en 2024. Pour s’inspirer, le gouvernement a d’abord lorgné sur les comptes notionnels du système suédois. Ce dernier prévoit le cumul, lors de la carrière, d’un capital virtuel basé sur les cotisations. Capital converti en pension via un coefficient intégrant l’âge de départ et l’espérance de vie de la génération. L’écart d’espérance de vie (entre cadres, ouvriers, métiers pénibles…) n’est évidemment pas pris en compte. Curieuse conception de l’équité… Et le niveau de pension, corrélé au contexte économique, n’est pas garanti. Les pensions suédoises ont ainsi baissé en 2010, 2011 et 2014… En outre, l’âge plancher de départ en retraite a beau être fixé à 61 ans, les Suédois (dont le système comprend aussi une part de capitalisation) partent en moyenne à 65 ans. Logique : leur pension équivaut en moyenne à 53 % de leur carrière contre 60 % en 2000… Autre piste privilégiée : un système de retraites par points (déjà en vigueur pour les retraites complémentaires françaises du secteur privé), ensuite convertis en rente. Comme le précédent, ce mécanisme est à cotisations définies mais rien ne garantit le montant des prestations futures. Et l’intégralité de la carrière prévaut pour le calcul de la pension, (contre par exemple les 25 meilleures années dans le privé à l’heure actuelle). De quoi pénaliser le niveau des retraites en cas de carrière chaotique auxquelles femmes et jeunes sont très exposés.
2 Capitalisation en embuscade.
Pourquoi s’atteler à un tel chantier alors que, selon le Conseil d’Orientation des Retraites (COR), le besoin de financement des retraites pour 2020 n’est que de de 2 milliards d’euros ? Soit, une paille au regard des 27,8 milliards d’euros d’exonérations accordées aux entreprises l’an dernier… « La réforme vise à garantir aux autorités européennes, arc-boutées sur les dépenses publiques, la réduction des pensions » décrypte Catherine Perret, négociatrice CGT. L’exécutif s’en défend, mais il veut en finir avec le système par répartition, basé sur le financement par les cotisations sociales. La Loi Pacte, qui entend dynamiser les produits d’épargne retraite, le confirme : la piste d’un glissement vers un système de retraites par capitalisation semble privilégiée, et ce pour compléter des pensions fortement diminuées. En outre, la pression patronale pour réduire les financements par cotisations incite l’exécutif à restreindre la solidarité interne (handicap, pensions de réversions…), aujourd’hui prise en charge par les différents régime, et à la financer par l’impôt. Autant d’économies pour les entreprises…
3 Lucidité.
Une enquête menée en février dernier par Kantar Public, pour le compte du gouvernement, indique que les français pas dupes, redoutent « qu’une baisse des pensions ne soit le prochain chantier de la réforme » et affirment leur attachement aux retraites par répartition, ainsi qu’à la solidarité afférente au système. Une lucidité qui incite le gouvernement à marcher sur des œufs sur ce sujet explosif, d’autant que la complexité (l’inutilité ?) de la réforme est soulignée par de nombreux experts, même éloignés de la CGT. Du grain à moudre pour les organisations syndicales qui doivent saisir l’occasion de pousser leurs pions dans ce dossier où rien n’est joué à ce stade.
4 Quelle démarche ?
Pour la CGT, les retraites doivent reposer sur le double mécanisme répartition et prestation définie, le plus à même de corriger les inégalités issues du monde du travail. Principe d’ailleurs largement écorné au gré des réformes initiées depuis 1993… Pour ce faire, c’est donc bien le partage des richesses et le coût du Capital qu’il faut réinterroger. Plutôt que de jouer la division des travailleurs, la CGT revendique un socle commun, pour un rapprochement par le haut des régimes existants, assorti de garanties (départ à 60 ans, minimum de pension, prise en compte de la pénibilité…). Elle préconise, pour coordonner le tout, la création d’une maison commune des régimes de retraite.Dans le cadre de sa campagne pour la reconquête de la Sécurité Sociale, la CGT détaillera ses propositions (modulation des cotisations patronales, contribution sur les dividendes, soumission à cotisation de l’épargne salariale et retraite…) sur la plate forme web mise en place par le gouvernement. Avec, pour fil rouge, une idée simple : le sujet doit être l’affaire de tous, et ne pas être cantonné à un débat d’experts. Car l’exécutif reste muet sur une question fondamentale : une réforme pour quel niveau de pension, après quelle durée de cotisation et à quel âge ? Lisibilité, vous disiez ?
Eva Emeryriat – Journal Ensemble (le mensuel des syndiqué.es CGT)
Quand c’est flou… c’est qu’il y a un loup ! (mercredi 10 octobre 2018)
Le haut-commissaire aux retraites a réuni les organisations syndicales de salariés et d’employeurs le 10 octobre pour un bilan de la 1ère phase de concertation sur la réforme systémique des retraites.
Face aux risques que comporte une réforme aussi radicale, en particulier, pour les salariés les plus fragiles (carrières hachées, CDD, temps incomplet de nombreuses femmes salariées, etc.), le gouvernement allonge les délais et recule la présentation du projet de loi à juin 2019, après les échéances électorales.
Il a présenté un cadre qui reste très flou destiné avant tout à rassurer. La majorité des citoyens n’est, en effet, pas dupe des risques de baisse des pensions pour toutes et tous.
Les mécanismes de redistribution et de solidarité sont tous remis en cause, ce qui vise en premier lieu les salariés du secteur privé. Il y a tout lieu de craindre que les nouveaux mécanismes de solidarité que le haut-commissariat envisage de reconstruire soient plus restreints, plus ciblés, plus individualisés, avec des économies réalisées sur le dos des plus fragilisés.
Cette perspective de régime unique conduirait à la disparition des régimes des fonctionnaires et des régimes spéciaux et, en conséquence, à la remise en cause des statuts d’agents publics et de fonctionnaires. De même, les retraites complémentaires disparaîtraient.
Aucune perspective de gouvernance démocratique du système de retraite n’a été évoquée par le haut-commissariat.
En affichant le maintien du niveau de cotisation (28 %) et de l’âge d’ouverture du droit à retraite (62 ans), le gouvernement veut faire croire que le nouveau système maintiendra le niveau de pension et l’âge de départ, avec un supplément de transparence.
Il n’en est rien.
Si par exemple on applique les règles de la retraite complémentaire actuelle en points (Arrco-Agirc) à la totalité du salaire, une pension de 1600 euros passerait à 1000 euros. Le gouvernement doit sortir du flou.
Le système en point ne permet d’évaluer la pension qu’à la veille de la retraite. Il prend en compte la totalité de la carrière et pas les meilleures années (privé) ou la fin de carrière (public). La solidarité ne consistera qu’en points supplémentaires dont rien ne garantit qu’ils seront au niveau du salaire antérieur (maladie chômage, maternité, etc.).
Pour la CGT, les priorités sont : quel montant de pension et à quel âge ? Points sur lesquels le projet ne dit rien et n’apporte aucune garantie.
La CGT réaffirme son opposition à ce projet et portera des propositions pour améliorer les droits de toutes et tous.