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La réforme Blanquer dégrade l’enseignement des lycées professionnels et transforme nos élèves en exécutants. Elle ferme davantage les portes des études supérieures aux bacheliers professionnels.
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Corinne Vaulot Enseignante lettres-histoire au Lycée Professionnel Françoise de Tournefeuille (près de Toulouse) et syndicaliste à la CGT Educ’action
Ayant lu la tribune de nos collègues et voisins du lycée de Fonsorbes sur la réforme du lycée, nous avons eu envie d’y donner un prolongement. En effet, le texte se termine sur la note suivante: “le présent article rédigé par des professeurs de lycée général n’aborde pas la question des réformes du lycée professionnel pourtant essentielle. Nous avons fait ce choix en conscience, n’étant pas spécialiste de la question.”
Or, notre établissement situé comme celui de Fonsorbes en banlieue ouest de Toulouse est un lycée polyvalent de 1600 élèves, dont un tiers en voie professionnelle. Notre collectif de professeurs se mobilise comme celui de Fonsorbes contre les réformes, mais particularité, il est constitué d’enseignant-e-s de la voie générale, de la voie technologique et de la voie professionnelle.
Les réformes sont intimement liées, la réforme LGT (lycée général et technologique) et la réforme voie professionnelle sont comme les 2 facettes d’une même médaille. Comme nos collègues de Fonsorbes, nous nous sommes livrés à l’examen des affirmations et préceptes de cette réforme.
Le public de la voie professionnelle qui rassemble tout de même aujourd’hui 30% des bacheliers est encore dans l’invisibilité, de même que les enseignants qui les encadrent.
Disons d’abord que cette réforme comme celle du lycée général a rencontré une forte opposition, mais les médias s’en sont faits encore moins l’écho. Le public de la voie professionnelle qui rassemble tout de même aujourd’hui 30% des bacheliers est encore dans l’invisibilité, de même que les enseignants qui les encadrent.
Mais revenons d’abord à l’élaboration de la réforme.
Le ministre Blanquer a prétendu que la voie professionnelle était sa priorité! Mais il s’est empressé de nommer le chef cuisinier étoilé Marcon et une cheffe d’entreprise pour établir un diagnostic en quelques semaines et des propositions tout aussi expéditives.
Le diagnostic a occulté les réussites du lycée professionnel, et ce alors que les enseignant.e.s sont reconnu.e.s pour leurs capacités à innover. Au lycée professionnel, c’est un autre rapport qui s’installe avec les élèves, pour les accompagner, les réconcilier avec l’école, leur redonner l’appétence et le goût du savoir… Aziz Jellab, sociologue, écrit: “des élèves ayant connu la douloureuse expérience de l’échec dans certaines matières en collège en viennent à découvrir qu’ils sont capables de réussir en lycée professionnel, aidés il est vrai par des pratiques pédagogiques innovantes ou au moins soucieuses de penser leurs difficultés cognitives”.
Oui le lycée professionnel était bien “une voie vers l’excellence”, et cela avant la réforme!
Par contre, qu’en est-il avec cette réforme? Décodons la communication “bien huilée” du ministère pour reprendre l’expression de nos collègues de Fonsorbes.
La brochure du ministère qui présente le “nouveau lycée professionnel” affirme: “La promotion de l’excellence se traduit par une ambition pour tous les élèves. Elle passe par la transmission des connaissances professionnelles de pointe, d’une culture générale solide et des savoir-être de haute tenue.
La mission de la voie professionnelle est de former des jeunes professionnels qualifiés qui sont aussi des citoyens éclairés.”
Examinons chacun de ces points:
– Transmission des connaissances professionnelles de pointe: FAUX. Le regroupement des formations en “famille de métiers” en seconde retarde la professionnalisation, et ce alors que la formation a déjà été réduite d’un an après la mise en œuvre de la réforme de 2009. La mise en place de “familles de métiers” correspond d’après le ministère à une volonté de liberté de choix de l’élève. Très bien, mais dans la pratique qu’en sera-t-il de cette liberté de choix quand la spécialité souhaitée sera dans un autre établissement, ou qu’il y aura trop d’élèves souhaitant intégrer la formation souhaitée au regard des capacités d’accueil?
Culture générale solide: FAUX. La première conséquence de la réforme est la diminution des heures de cours en enseignement général. En CAP par exemple, il reste à peine plus de 2h par semaine pour le français, l’histoire géo et l’EMC! Diminution drastique des heures de cours mais aussi appauvrissement du contenu des programmes!
– Former des citoyens éclairés: FAUX. C’est ainsi que le programme de français en Bac professionnel se réduit comme peau de chagrin et se calque sur celui de CAP. Plus de démarche de questionnement et de problématisation! Disparition de l’objet d’étude de première, “les philosophes des lumières et le combat contre l’injustice”, thème très apprécié par les élèves qui faisaient le lien avec les problématiques actuelles. En géographie, disparition du programme de tous les thèmes en lien avec le développement durable et le développement inégal!
– Pour ces programmes il y aurait eu consultation: FAUX! L’association des professeurs d’histoire géographie tire un constat bien sévère de cette pseudo concertation: “Les longs échanges ont confirmé nos appréhensions et nos impressions: le ministère ne raisonne qu’en termes utilitaristes, subordonnant les enseignements généraux aux stricts besoins professionnels et, plus largement, le lycée professionnel aux besoins des employeurs et des décideurs locaux. C’est se tromper lourdement que de croire qu’un bon travailleur n’a pas besoin d’être cultivé, ni de connaître l’histoire de son métier, ni de comprendre la marche du monde. C’est aussi manquer cruellement d’ambition pour une jeunesse souvent issue des milieux en difficulté.”
Encore un exemple pour illustrer l’absence de concertation, la pseudo consultation par internet en pleines vacances de février, avec un questionnaire complètement fermé où il s’agissait seulement de se prononcer sur la clarté de la rédaction des programmes et leur adéquation avec les horaires…
Oui le lycée professionnel était bien “une voie vers l’excellence” et cela avant la réforme!
Cette réforme est à mettre en cohérence avec Parcoursup et les poursuites d’études en enseignement supérieur, en fermant encore davantage les portes de l’enseignement supérieur aux bacheliers professionnels. C’est pourquoi le module “accès à l’enseignement supérieur” en terminale nous paraît proprement illusoire.
La communication du ministère axe aussi sur le “parcours individualisé” de l’élève et sur la liberté de choix, reprenant les mêmes arguments que pour la voie générale, mais comme pour la voie générale, ces belles intentions se heurteront aux contraintes en termes de capacités d’accueil. Cette liberté sera encore moins réelle pour les établissements en zone rurale.
Dans la réforme, les élèves pourront poursuivre leur formation en 1° par apprentissage ou par voie scolaire. En théorie! Dans la pratique, les contrats par apprentissage sont conditionnés au bon vouloir des entreprises et à leur choix. Une liberté encore bien contrainte!
En ce qui concerne la filière GA (gestion-administration), numériquement la plus importante de l’enseignement professionnel (75.000 élèves), le ministère déclare que le taux d’insertion des élèves est insuffisant avec 34% des jeunes diplômés en emploi sept mois après leur sortie. Cependant, il n’explique pas que cette filière est récente puisqu’elle découle il y a 5 ans de la fusion des bac pro secrétariat et comptabilité. Le bilan est là encore expéditif et radical puisqu’il est prévu de supprimer la moitié des places dans cette filière, ce qui va aboutir à la suppression de 1500 postes! Un véritable plan social! Nous ne pouvons admettre des prises de décisions aussi rapides, alors qu’il pouvait être envisagé une évolution de la filière, sans compter que la situation peut évoluer et les besoins des entreprises en termes de recrutement également. Nous ne pouvons imaginer qu’il n’y ait pas de besoins de formation pour les métiers de l’administration!
Au lieu de cela le ministère choisit le démantèlement de la filière, plonge des centaines de collègues dans l’angoisse et l’incertitude et supprime une orientation possible pour les élèves.
Cette réforme est à mettre en cohérence avec Parcoursup et les poursuites d’études en enseignement supérieur, en fermant encore davantage les portes de l’enseignement supérieur aux bacheliers professionnels.
Cette fusion des bac pro comptabilité et secrétariat il y a 5 ans peut d’ailleurs être vue comme l’expérimentation grandeur réelle d’une déprofessionnalisation de la formation et des diplômes avant sa généralisation à l’ensemble des filières de la voie professionnelle avec la réforme en cours.
– Le recours à la co-intervention et l’élaboration d’un “chef-d’œuvre” qui renouvelleraient les pratiques pédagogiques. Là encore FAUX! Nous n’avons pas attendu 2019 pour travailler en équipe et élaborer des projets! Dans notre établissement, par exemple, les équipes sont très mobilisées et construisent des projets avec nos collègues de la voie générale et technologique, projets dont l’axe central est l’art et la culture! C’est ainsi que nos élèves cette année célèbrent la beauté en poésie dans le cadre du printemps des poètes, font de la philosophie comme un sport, avec un projet boxe-philo, s’interrogent sur le genre à travers un festival de cinéma “Françoise fait son cinéma” au cinéma Utopia de Tournefeuille, élaborent une chorégraphie sur le thème des “passants”, où il est question de l’éphémère… Evidemment c’est aux antipodes de ce “nouveau lycée professionnel” qui nous apparaît avant tout comme une formation au rabais, à visée principalement utilitariste pour les besoins “en compétences” de la nouvelle économie et dont le but affiché est l’“employabilité”.
Nous sommes bien sûrs conscients que la voie professionnelle est souvent choisie par défaut et est parfois considérée comme une voie de relégation. Et en cela les enseignantes et enseignants des lycées professionnels sont demandeurs de réformes mais dans le sens d’une éducation/formation de qualité renforcée, d’une plus grande ambition quant à la réussite de nos élèves, pas d’une réforme qui, sous des mots clinquants, cache des volontés économiques à leur détriment.
Moins d’heures de formation théorique (générale et professionnelle), moins de semaines de stage ne peuvent en aucun cas être gages d’une meilleure formation de nos élèves, encore moins d’une excellence. Nous ne sommes pas dupes de ces mensonges!
En conclusion, nous citerons la fin de notre déclaration au Conseil d’administration: nos élèves méritent qu’on les considère non comme de simples exécutants mais comme des individus en construction pour qui l’école doit aussi avoir une dimension émancipatrice.
Cette tribune est signée par l’ensemble du collectif d’enseignantes et enseignants du LPO Françoise de Tournefeuille, mobilisé.e.s contre les réformes du lycée et de la voie professionnelle.