CGT Educ'Action Académie de Nantes

Un syndicat de luttes!

Plateformes de livraison : «Les mineurs qui travaillent ont deux fois plus de risques de redoubler»

PRESSE https://www.liberation.fr/france/2019/05/03/plateformes-de-livraison-les-mineurs-qui-travaillent-ont-deux-fois-plus-de-risques-de-redoubler_1724847?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR3LI1NH2XqlxFKhdpCuge6Eaiv-43WUSw12zb1AgYGYVitj19EdGjL5kEY#Echobox=1556912993

Par Marie Piquemal 3 mai 2019 à 20:06

Thierry Berthet, directeur du Laboratoire d’économie et de sociologie du travail, regrette que le problème, qui touche surtout le mineurs de milieux défavorisés, ne soit pas plus pris en compte en France.

Directeur de recherche au CNRS, Thierry Berthet dirige le Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (Lest) à l’université Aix-Marseille. Pour lui, la France ne se donne pas tous les moyens de lutter contre ce décrochage scolaire en partie lié au travail des lycéens.

Des ados de 16-17 ans, et même parfois des collégiens, se lancent dans les plateformes de livraison. Combien sont-ils à travailler en dehors des cours ?

Il n’y a pas de chiffres officiels sur le travail des élèves. En France, on fait un peu comme si ce phénomène n’existait pas. C’est pourtant un vrai sujet. On trouve une seule enquête de terrain, menée en 2015 auprès de 3 500 lycéens d’Ile-de-France par le cabinet BSA. Les résultats interrogent : un lycéen sur trois déclare avoir une activité rémunérée ! Et près de 10 % travaillent de manière continue toute l’année. Parmi les lycéens âgés de 18 ans et plus, la moitié ont un emploi.

Avec quelles conséquences ?

Ce n’est pas tant le fait d’avoir un emploi qui pose problème que les conditions de travail et l’intensité. A partir d’un certain nombre d’heures travaillées, les risques de décrocher à l’école augmentent. La recherche scientifique est unanime sur ce point. A petite dose, le travail peut avoir des effets positifs : le jeune gagne en autonomie, il est aussi plus responsable. Mais le travail peut aussi avoir des conséquences néfastes sur la scolarité. Les élèves qui ont un emploi rémunéré ont deux fois plus de risques de redoubler. Les écarts sont importants selon l’origine sociale. Les élèves de milieu populaire sont quatre fois plus nombreux que les autres à considérer que le travail nuit à leur assiduité et qu’il est préjudiciable au déroulement de leur scolarité. Au total, 63 % des élèves de milieux défavorisés déclarent avoir un petit boulot, travaillent à «haute intensité», contre un tiers seulement des enfants de milieux favorisés.

Dans notre enquête, des professeurs racontent qu’emploi et scolarité entrent en concurrence…

Oui, à partir du moment où il a un emploi occupant une partie importante de son temps, le jeune peut se poser la question de l’intérêt de continuer le lycée. Il se la pose d’autant plus quand il subit son orientation. Par exemple, quand il se retrouve en lycée professionnel, dans une filière qu’il n’a pas choisie. Chaque année, environ 100 000 jeunes (soit 9,8 %) quittent le système scolaire sans qualification. Les conséquences sont lourdes. Il est très long et compliqué de raccrocher. Il se passe en moyenne vingt-huit mois entre le moment où il arrête l’école et où il se tourne vers la recherche d’une solution, comme les missions locales pour l’emploi.

Pourquoi le travail des jeunes n’est-il pas pris en compte dans les politiques publiques de lutte contre le décrochage scolaire ?

Nous sommes en retard en France. Peut-être parce que dans notre société, le travail est présenté comme un sésame. Il n’est pas aisé pour les politiques de soutenir l’apprentissage et l’alternance, et en même temps de dire aux parents «attention trop de travail nuit à la scolarité de votre enfant». Rappelons aussi que la lutte contre le décrochage scolaire est récente en France. Nous n’avons commencé à en parler qu’après les émeutes de banlieues de 2005, quand on a considéré que c’est parce que ces jeunes non qualifiés ne trouvaient pas de place sur le marché du travail qu’ils se rebellaient.

La lutte contre le décrochage a d’abord été abordée sous un angle sécuritaire : les politiques ont été chapeautées à l’époque par le ministère de l’Intérieur ! Ce n’est qu’en 2012, avec la loi de refondation de l’école, que le décrochage a été davantage pris en compte sous l’angle de l’éducation.

Y a-t-il des exemples à l’étranger dont la France pourrait s’inspirer ?

Au Québec, le sujet de la conciliation travail-études est pris très au sérieux. D’abord, ils l’ont objectivé : 55 % de leurs 15-16 ans ont un travail. Une étude montre que ceux qui travaillent vingt heures par semaine se retrouvent à avoir des semaines de plus de soixante heures en ajoutant les cours et les devoirs ! Les Québécois de la région Saguenay-Lac-Saint-Jean notamment ont entamé une réflexion pour responsabiliser les entreprises. Elles sont invitées à signer une charte s’engageant à libérer les jeunes pendant les périodes d’examens et à ne pas abuser sur les horaires de travail pour leur laisser le temps d’étudier. C’est un vrai axe de lutte contre le décrochage.

 

Imprimer cet article Télécharger cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.