Déclaration en direction des 2 ministères : Éducation nationale et ministère du travail
« Liberté » de « choisir » son avenir professionnel : Le titre de la loi nous propulse sur un petit nuage idyllique mais textes après textes la communication officielle peut difficilement masquer la réalité et les conséquences. C’est une attaque en règle contre les services publics de la formation et de l’emploi et une remise en cause du droit pour chacun de se former et d’élever son niveau de qualification. Les titres des décrets d’application, plus explicites font beaucoup moins rêver et montrent la finalité des compétences. Les entreprises recherchent les compétences immédiatement disponibles et exploitables en mettant au besoin en place des « actions de développement des compétences » pour leur·e·s salarié·e·s. La ministre du travail de son côté incite fortement les entreprises à créer leurs propres centres de formation financés par les OPCO et qui seront en concurrence avec les organismes à but non lucratif existants. S’agit-il d’obtenir un titre ou un diplôme ? S’agit-il de reconnaître les qualifications dans les grilles salariales ? Que nenni ! Il ne faut plus utiliser ces « gros mots » d’un autre temps ! Il faut avoir ou acquérir « LA » compétence dont a besoin l’entreprise sous peine de licenciement fortement facilité par les lois « travail » Macron-El Khomri.
Si le·la salarié·e souhaitant évoluer ou se reconvertir, pense pouvoir mobiliser son compte personnel de formation ou bénéficier d’un conseil en évolution professionnelle, son choix sera limité aux besoins immédiats de l’entreprise. L’Éducation nationale elle-même a fortement limité la mobilisation du CPF par rapport au DIF (droit individuel à formation) dont elle avait aussi restreint l’usage par rapport au reste de la Fonction publique. Sachant qu’une heure de formation varie entre 20 et 50 €, avec 500 € par an, plafonnés à 5 000 € (8 000 € pour les privés d’emplois), les personnes seront contraintes de mettre la main à la poche pour compléter leur CPF pour pouvoir se former.
Finalement, sont donc financées les formations qui relevaient précédemment de l’adaptation au poste de travail et étaient une obligation de l’employeur. Où sont la liberté et le choix de pouvoir mener un projet personnel ? Cette vision utilitariste à court terme empêchera l’innovation et l’émergence des nouveaux métiers de demain.
D’après une étude récente du CEREQ portant sur la période 2014-2017, les salarié·e·s bloqué·e·s dans leur parcours professionnel, souvent peu diplômé·e·s, occupant des emplois peu qualifiés ont difficilement accès à une offre de formation leur permettant d’évoluer. Une offre cantonnée à la prise en main de l’outil de travail limitera encore plus le choix.
Pour pouvoir se consacrer pleinement à une formation, il faut être dégagé de tous les soucis matériels. Ce qui n’est malheureusement pas le cas des précaires et des privé·e·s d’emploi pour qui la non-prise en charge des frais de déplacement, de restauration et d’hébergement est un frein à la formation.
Quel est le bilan humain de la loi ?
- Suppression des FONGECIF (Fonds de Gestion du Congé individuel de formation) : 300 emplois menacés, principalement les conseiller·e·s en évolution professionnelle
- L’AFPA (Agence pour la Formation Professionnelle des Adultes) : fermetures de centres de formation et licenciements de 1500 des 6 000 CDI, tout en conservant les CDD
- Les OPCA (Organismes Paritaires Collecteurs Agréés), privés de la collecte des fonds de formation, transformés en OPCO (Opérateurs de Compétences) : 2000 emplois menacés !
- Les CIBC (Centres Interinstitutionnels de Bilans de compétences) : Combien d’emplois menacés dus à la diminution drastique des financements qui va entraîner une diminution des bénéficiaires d’un bilan de compétences ?
- Pôle emploi : 800 suppressions de postes immédiatement et 4000 postes d’ici 2022 !
- Même la Caisse des dépôts et consignation, pour la 1ère fois de son histoire a prévu un plan de départ pour une centaine de salarié·e·s.
- Concernant l’apprentissage : les Conseils Régionaux ont estimé à 700 le nombre de CFA qui risquent de fermer.
Cet inventaire à la Prévert est loin d’être exhaustif.
Comment cette loi a-t-elle pu être votée sans anticiper les dégâts ? Sauf à supposer une grande naïveté des élu·e·s, cette loi atteint bien l’objectif du président de la république : anéantir le paritarisme et précariser les salarié·e·s qui seront désormais des intermittent·e·s de la formation.
C’est la logique de marché qui prime. Les GRETA, l’AFPA et le CNAM qui pouvaient répondre en commun à des appels d’offre sont aujourd’hui concurrents. Interdire les organismes à but non lucratif de s’associer, c’est les empêcher de se développer pour répondre aux besoins des salarié·e·s, des privé·e·s d’emplois, des précaires et pas uniquement aux besoins des entreprises.
Les entreprises et les branches peuvent maintenant très facilement créer des CFA, en concurrence avec les CFA publics ou consulaires. Lors d’un précédent CSE nous avons vu qu’il n’y a plus de contrôle pédagogique a priori. La mission de contrôle de l’apprentissage par l’inspection a été fortement réduite. Dans le texte n°2 d’aujourd’hui, les critères nécessitant un commissaire aux comptes sont tels que de nombreux CFA pourront y échapper. Il n’y a pas de mesures ou de sanctions prévues si la formation dispensée n’est pas conforme. Ce n’est pas une hypothétique régulation du marché qui empêchera que des sommes dédiées à la formation soient détournées de leur objectif. Malgré les incitations fortes pour créer des CFA d’entreprise, heureusement que certains opérateurs ont un peu de bon sens et conseillent d’éviter de créer simultanément une nouvelle certification et un CFA.
France compétences a remis ses préconisations concernant les coûts contrats qui couvrent pratiquement tout, à 2% près. Si certains organismes s’estiment gagnants par rapport aux coûts préfectoraux actuels, cela ne garantit pas la pérennité de tous les CFA ou des UFA des établissements scolaires. De plus de nombreuses questions sont en suspens. Les deux ministères présents pourront peut-être y répondre.
Pour les formations à petits flux, les coûts-contrats ne garantissent pas leur maintien. Les entreprises susceptibles d’intervenir sur la cathédrale de Paris ont bien raison de s’inquiéter du manque de main d’œuvre spécialisée car les formations aux métiers d’art ayant des effectifs réduits pourraient bien mettre la clé sous la porte sauf petit coup de pouce pour respecter le délai de reconstruction de 5 ans.
Si le ministère de l’Éducation nationale prône l’ouverture d’UFA dans chaque lycée, faut-il encore que ce soit viable. Par ailleurs lors de la présentation du projet de loi, le ministère du travail avait indiqué que les coûts contrats pourraient être réduits à l’Éducation nationale. Cette hypothèse semblant se confirmer, peut-on avoir des précisions ?
Faute de financement suffisant, on imagine bien la solution qui sera préconisée : la mixité des publics avec des élèves de 15 ans mélangé·e·s à des apprenti·e·s de 30 ans avec des entrées et sorties de contrat d’apprentissage à tout moment de l’année scolaire. Difficile ensuite d’exiger l’assiduité scolaire des élèves et de lutter contre le décrochage scolaire. Les apprenti·e·s sont payé·e·s et en plus ils ont des horaires à la carte. Mais pour qu’il y ait mixité faut-il encore que les sections en formation initiale sous statut scolaire existent toujours. Or de nombreuses sections ont été supprimées pour favoriser l’apprentissage sans que le transfert des effectifs soit vraiment probant. Rappelons que la CGT Éduc’action est opposée à la mixité des publics.
Les CFA ou les UFA des EPLE peuvent concerner plusieurs champs professionnels qui relèvent d’OPCO différents, les financements viendront de plusieurs sources au lieu du financement unique régional. Les UFA des EPLE devront-elles démarcher les OPCO (11 interlocuteurs potentiels) ? Certains OPCO ont déjà annoncé qu’ils ne financeraient que les formations les concernant. Sera-t-il possible d’équilibrer le budget des UFA : les excédents des formations à gros flux compensant le manque de ressources pour les formations à petits flux ? Ou bien faudra-t-il séparer les budgets des formations relevant d’OPCO différents ?
Qui finance pour les compétences transversales ? Quel est l’avenir du CLEA ?
Le texte permettant aux GRETA de faire aussi de l’apprentissage a été soumis à l’avis du CSE après avoir retiré les questions financières. Le budget des GRETA pose des questions similaires à celles posées précédemment avec en plus la distinction entre formation continue et apprentissage d’autant qu’au regard des évolutions en cours la distinction entre contrat d’apprentissage et contrat de professionnalisation est de plus en plus floue. Cependant la solution ne pourra pas être de mettre des adultes de n’importe quel âge avec des élèves mineur·e·s sous couvert de campus des métiers.
Dans la loi, il y a aussi des articles portant sur la future composition des CPC. Même si les organisations syndicales représentatives pour les formateur·trice·s sont maintenant exclues, quand le ministère de l’Éducation nationale a-t-il prévu de passer les textes sur les futures CPC en CSE ? Pourra-t-il y avoir des expert·e·s représentant les formateur·trice·s dans les CPC ?
La déclaration au CSE du 16 mai 2019 au format