Lettre aux français : courrier de la Fédération au Président de la République
Depuis quelques semaines, vous semblez découvrir le malaise grandissant au sein de notre pays. Pourtant, c’est bien la politique que vous menez depuis plusieurs années, comme celle de vos prédécesseurs, qui nous a mené dans cette impasse. La vie de millions de concitoyens est aujourd’hui tellement précaire et leur souffrance telle que la colère ne pourra être apaisée par quelques simples saupoudrages.
Avec la mise en place d’Action publique 2022, vous avez souhaité accélérer la destruction des services publics pourtant réclamés par les français. Malgré nos nombreux avertissements, vous poursuivez le démantèlement des services garants des missions fiscales, du financement de l’économie, de son contrôle et de la protection économique des populations.
La raison évoquée d’économies budgétaires ne peut être prise au sérieux alors que le pays n’a jamais été aussi riche. Dans le même temps, et c’est bien l’un des principaux problèmes, les inégalités atteignent des niveaux inégalés. L’Histoire a d’ailleurs souvent montré que des inégalités naissent les révoltes.
Dans ce contexte, vous avez souhaité poser, aux français, une série de questions. En tant que représentants des agents des Finances, nous allons vous apporter des pistes de réponses pour les questions relevant de notre champ professionnel. Bien entendu, les exigences que nous portons sont issues du débat collectif. Si jusqu’ici vous en avez toujours rejeté le contenu, il n’est jamais trop tard pour changer de cap, dans l’intérêt collectif et pas seulement dans celui d’une minorité de nantis.
Voici donc les questions sur lesquelles la fédération des Finances CGT souhaite vous répondre et vous exhorte à agir afin d’apporter à notre pays, une meilleure qualité de service public, plus de justice fiscale, plus de justice sociale, plus d’égalité dans le respect de notre planète.
Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ?
Avant tout, cela passe par un transfert important entre les impôts (et taxes) proportionnels et ceux progressifs. Ainsi, il faut d’urgence baisser le taux normal de TVA à 15 % comme le permet la législation européenne. La TVA sur les produits de première nécessité doit être, purement et simplement, supprimée. Pour cela, il convient d’intervenir auprès de l’Union européenne pour une révision de l’article 99 de la directive relative à la TVA. Dans le même temps, l’impôt sur le revenu doit être largement renforcé et rendu plus progressif, avec de nouvelles tranches d’imposition pour les plus hauts revenus.
Dans le même esprit, il convient :
- d’instaurer un impôt sur la fortune aux taux progressifs ;
- de créer un impôt local prenant en compte le niveau de revenu des contribuables ;
- de créer un impôt local sur les entreprises prenant en compte la politique de l’entreprise en terme d’emploi, de salaire, de formation, d’investissement et d’environnement ;
- de mettre en place une véritable taxe sur les transactions financières ;
- de sortir la composante carbone des taxes sur la consommation finale.
Plus globalement, il faut renforcer le consentement à l’impôt dans notre pays, notamment en simplifiant la fiscalité. Elle est au cœur de notre contrat social et doit être aisément comprise par chaque citoyen.
Pour permettre un meilleur financement des services publics, d’importants moyens doivent être mis en place pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Quelles sont les économies qui vous semblent prioritaires à faire ?
Avant de se poser la question des économies à réaliser, il faut se poser celle des besoins sociaux à financer. Et c’est au regard de cela qu’il faut définir la politique de recettes nécessaires au bon fonctionnement du pays et de ses services publics. Cependant, pour apporter des réponses à cette question, il nous semble prioritaire de réduire drastiquement les niches fiscales et les circonscrire à celles réellement utiles socialement ou économiquement. Ainsi, par exemple, le CICE doit être aboli car les rapports démontrant sont inefficacité s’accumulent. Qui plus est, le coût de cette niche fiscale est exorbitant.
De même, les exonérations de cotisations sociales doivent être supprimées afin de donner d’avantage de moyens à la sécurité sociale, dont les comparaisons internationales démontrent la grande efficacité pour un coût réduit par rapport aux assurances privées.
Faut-il revoir le fonctionnement de l’administration et comment ?
Les administrations économiques et financières fonctionnent aujourd’hui de manière bien peu démocratique. Les exigences des salariés qui les composent ne sont guère écoutées. Les organisations qui les représentent doivent constamment faire face à l’arrogance des directions. Il est urgent de mettre fin au mépris vis-à-vis des travailleurs qui chaque jour mettent toute leur énergie au service de la population. Le plus souvent, ils le font dans des conditions difficiles, en particulier à cause de votre entreprise de démolition généralisée de leurs métiers et des services.
Pourtant, nos administrations sont de plus en plus sollicités par les citoyens. Malgré cela, vous poursuivez le gel de leurs salaires, vous limitez leurs possibilités de promotions. Nous exigeons donc que des négociations réelles et sérieuses soient ouvertes de toute urgence avec les organisations syndicales représentatives des personnels de notre champ professionnel.
Comment l’État et les collectivités locales peuvent-ils s’améliorer pour mieux répondre aux défis de nos territoires les plus en difficulté et que proposez-vous ?
Le développement des territoires passe en partie par la capacité à financer les biens publics. Pour cela, il est nous paraît nécessaire de mettre en place un véritable Pôle financier public sur la base des établissements économiques et financiers publics et semi-public existants.
L’intérêt d’un tel pôle réside dans une capacité financière importante et la déconnexion du secteur bancaire purement marchand. Pour lui donner un caractère démocratique, ce Pôle financier public devra faire l’objet d’une gouvernance intégrant les élus mais également la société civile et les représentants des personnels.
Le financement des services publics locaux passe aussi par un besoin de conseil et de contrôle des deniers publics. En ce sens, il est primordial de renforcer le rôle des Finances publiques en matière de contrôle des fonds, de conseil aux collectivités et de maintenir la séparation entre l’ordonnateur de la dépense et le comptable.
Comme les citoyens en font la demande, il est aussi nécessaire de développer le réseau de proximité des administrations économiques et financières, à l’inverse de ce qui est opéré depuis de nombreuses années. Sur ce point également, ils doivent être écoutés et surtout entendus.
Comment finance-t-on la transition écologique : par l’impôt, par les taxes et qui doit être concerné en priorité ?
La fiscalité « environnementale » doit être juste et s’inscrire dans le cadre d’une réforme globale et cohérente de la fiscalité. Elle doit permettre de faire contribuer davantage ceux qui ont le plus de moyens et donc être basée sur la progressivité. Cela passe par un allègement global des taxes indirectes qui pèsent plus lourdement sur les plus modestes.
Pour autant, la France ne peut se contenter de taxer les comportements à caractère anti-écologique et doit débloquer des financements importants pour accompagner la transition vers un monde plus durable. C’est ainsi, et donc en s’appuyant sur une fiscalité progressive, que l’État pourra permettre aux citoyens d’adopter un comportement plus respectueux de l’environnement.
Au plan international, une taxe sur les transactions financières, dont le produit serait affecté en partie à la lutte contre le changement climatique et plus particulièrement à une transition juste et un travail décent, doit être défendue par la France.
Quelles propositions concrètes feriez-vous pour accélérer notre transition environnementale ?
Une politique de préservation de notre environnement nécessite une véritable politique industrielle, de développement du transport collectif de passagers et de marchandises, de financement public de l’isolation des logements,… Pour cela, il est indispensable de s’appuyer sur la valorisation des comportements vertueux au sein des entreprises. Ainsi, il est nécessaire de mettre en place une modulation du crédit aux entreprises tel que cela a pu être le cas par le passé. Les entreprises ayant un comportement social et environnemental respectueux verraient ainsi leur taux d’emprunt auprès des banques baisser, tout comme cela pourrait être le cas pour les cotisations sociales ou encore le taux d’impôt sur les sociétés. A l’inverse, les entreprises les moins vertueuses verraient leur taux d’emprunt, d’imposition et les cotisations sociales augmenter.
La mise en place d’un véritable pôle financier public avec le retour à une centralisation intégrale de l’épargne populaire à la Caisse des dépôts permettrait de financer la construction et la rénovation des logements sociaux, de financer d’importants projets public pour améliorer la qualité de notre environnement, de développer les transports publics, etc.
Protéger l’environnement c’est aussi s’assurer que des normes de production de haut niveau soient appliquées aux marchandises entrant sur le territoire comme c’est le cas pour les industries implantées en Europe. Ces normes doivent bien entendues être environnementales mais peuvent également être sociales afin de protéger les travailleurs étrangers par le biais de nos modes de consommation.
Cette démarche ne peut se faire sans un renforcement du code des douanes au niveau européen et un plus grand contrôle des marchandises importées afin de nous assurer qu’elles respectent les mêmes normes que nos entreprises locales. Cela va de pair avec un renforcement de la traçabilité des produits.
Comment faire partager ces choix à l’échelon européen et international pour que nos producteurs ne soient pas pénalisés par rapport à leurs concurrents étrangers ?
Un mécanisme de traçabilité du carbone doit permettre de connaître l’empreinte carbone des produits importés sur le marché européen. Un tel système pourrait servir de base à la mise en oeuvre d’un mécanisme d’ajustement aux frontières évitant la délocalisation des activités industrielles vers des régions ou pays moins exigeants dans leur politique climatique.
En effet, le cadre européen de lutte contre les changements climatiques se focalise sur les gaz à effet de serre émis sur le territoire des États membres et ignore les émissions provoquées par la production de biens importés dans l’Union. Un bien produit en Europe peut ainsi être taxé sur son contenu carbone alors qu’un bien importé ne le serait pas. Une traçabilité carbone de tous les produits doit donc être un objectif avant d’imaginer de nouvelles taxes sur la consommation.
Quelles évolutions souhaitez-vous pour rendre la participation citoyenne plus active, la démocratie plus participative ?
Concernant le secteur public économique et financier, nous proposons la création de comités, national et régionaux, de défense et d’évaluation ouverts aux représentants des citoyens (élus locaux, syndicats, associations…).
Le secrétariat de la fédération des Finances CGT