Depuis fin décembre, le collectif « les stylos rouges » milite sur les réseaux sociaux en faveur de meilleures conditions de travail pour les enseignants et d’une hausse de leur rémunération, appelant à cette occasion à un « arrêt de la différenciation entre le premier et le second degré ». « Nous voulons les mêmes avantages, salaires et traitements pour tous », ont-ils lancé dans une liste de vingt revendications publiée sur leur compte Twitter.
Ces écarts et inégalités ne datent pas d’hier. On peut citer par exemple cette observation de l’historien anglais Théodore Zeldin dans son Histoire des passions françaises :
« En 1914, les instituteurs d’Alsace-Lorraine (alors sous souveraineté allemande) recevaient un salaire deux fois plus élevé que celui de leurs collègues français et, dans une enquête internationale, les enseignants du primaire en France furent classés comme les plus mal payés d’Europe, venant à la vingt-cinquième place, à égalité avec ceux du Monténégro. »
Des professeurs des écoles désavantagés
Lorsque, à la fin des années 1880, les instituteurs sont devenus fonctionnaires d’État, l’écart de leurs rémunérations par rapport aux professeurs du secondaire est resté très important : un professeur de collège gagnait alors trois plus qu’un instituteur en début de carrière, et deux fois plus en fin de carrière (un agrégé huit fois plus en début de carrière, et six fois plus en fin de carrière).
On aurait pu croire que la création en 1990 du corps des professeurs des écoles (à égalité indiciaire de principe avec celui des professeurs certifiés du secondaire, et avec le même niveau académique de recrutement) allait renvoyer tout cela aux oubliettes de l’histoire. On en est cependant encore loin, même si ces inégalités ont diminué.
Selon une étude de la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) de 2017, et le bilan social du ministère de l’Éducation publié en avril 2017, les professeurs des écoles de moins de 30 ans ont un revenu net moyen de 1 831 euros, contre 1 990 euros en moyenne pour les certifiés et 2 517 pour les agrégés de la même tranche d’âge.
Les professeurs des écoles de plus de 50 ans ont eux en moyenne un revenu net de 2 567 euros – contre 2 996 euros pour les certifiés et 3 940 euros des agrégés de plus de 50 ans. La différence entre les professeurs des écoles et les certifiés tient en partie à ce que ceux-ci ont davantage d’indemnités, et surtout ont la possibilité de faire des « heures supplémentaires années ».
Comparaisons internationales
L’étude comparative internationale serrée (et tenant compte pour la première fois de l’ensemble des revenus) menée sous l’égide de l’OCDE à partir des données de 2012 a établi de façon difficilement contestable les disparités de revenus des différentes catégories d’enseignants selon les pays.
Le salaire moyen des professeurs des écoles françaises est de 17 % inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE. Mais ceux des professeurs de collège ou de lycée – eux- atteignent presque la moyenne des 34 pays de l’OCDE ; ils sont seulement 3 % en dessous pour les professeurs de collège, et 2 % en dessous pour les professeurs de lycée.
Poussant plus loin l’analyse, les experts de l’OCDE ont comparé ces revenus avec ce que ces professeurs à haut niveau de diplôme universitaire gagneraient s’ils avaient opté pour une autre carrière. Le professeur des écoles est encore le grand perdant en gagnant seulement 72 % de ce qu’il pourrait escompter avec son niveau de diplôme s’il travaillait ailleurs que dans l’Éducation nationale. La perte est moindre au collège (86 %) et presque nulle au lycée (95 %).
On notera toutefois que le professeur de lycée français gagne nettement moins que ses collègues de même niveau dans certains pays : 14 % de moins que l’enseignant finlandais ou américain, 28 % de moins qu’un Néerlandais, et surtout 54 % de moins que son voisin allemand.
La question des heures supplémentaires
On doit insister sur le fait que l’augmentation des « heures supplémentaires années » n’est pas de nature à corriger les inégalités frappant pour l’essentiel les professeurs des écoles, bien au contraire. Sans fermer la voie à d’autres mesures, c’est pourtant l’annonce qui a été privilégiée dimanche dernier par le ministre de l’Éducation nationale, Jean‑Michel Blanquer, 250 millions étant déjà prévus pour cela.
Certes, dans son rapport « Gérer les enseignants autrement », la Cour des comptes a mis en avant que, sur le plan budgétaire, « le coût moyen d’un emploi à temps plein (hors charge) est de 42 800 euros pour un certifié, 34 830 euros pour un contractuel, et de 24 551 euros seulement pour l’équivalent en heures supplémentaires ».
Mais il y a déjà eu à ce sujet un précédent édifiant dans le cadre du mot d’ordre sarkozyste : « Travailler plus pour gagner plus ». En 2007 le ministère de l’Éducation nationale a mis en place une politique incitant les enseignants à effectuer des HSA avec des mesures générales (défiscalisation des heures supplémentaires instituée par la loi du 21 août 2007) ou spécifiques à l’Éducation nationale (création d’une prime de 50 euros au bénéfice des enseignants qui assurent au moins trois HSA).
In fine, le rapport de la Cour des comptes a mis en évidence que ces rémunérations supplémentaires « ont été réparties très inégalement entre les enseignants dans la mesure où le nombre d’HSA varie fortement selon le type d’établissement et le niveau d’enseignement ». Ainsi, « 46 % des enseignants du secondaire n’effectuent aucune heure supplémentaire ; cela va de 52 % en collège à 12 % en classes préparatoires aux grandes écoles […]. Les professeurs certifiés assurent en moyenne 0,9 HSA par semaine ; les professeurs agrégés enseignant en CPGE ont en moyenne 4 HSA ».
Déclaration d’intérêts
Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.