Tribune parue le 4 juin 2018 sur lemonde.fr
Depuis le mois d’octobre, nos organisations dénoncent la loi ORE de Mme Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, ses effets négatifs sur l’accès de toutes et tous aux formations du supérieur et les conditions de sa mise en place dans la précipitation.
En janvier 2018 nous écrivions :
« Parcoursup reproduira les injustices d’APB en les aggravant. Le gouvernement propose aux élèves de terminale de faire seulement dix vœux, sans les hiérarchiser. À partir de mai, en pleines révisions du bac, les lycéens et lycéennes qui auront reçu plusieurs réponses positives auront quelques jours pour faire leur choix et laisser les places restantes aux candidat·es moins bien classé·es qu’elles·eux par les établissements d’enseignement supérieur – réattribution des places qu’APB effectuait automatiquement. Ce sont d’interminables listes d’attente qui seront ainsi engendrées, génératrices d’anxiété pour les lycéen·nes et leurs familles. »
Il apparaît évident aujourd’hui, alors que Parcoursup a rendu ses premiers arbitrages, que nos craintes étaient fondées… Malheureusement, nos ministres de tutelle Mme Vidal et M. Blanquer, n’en ont absolument pas tenu compte.
Selon les sources ministérielles, près de la moitié des lycéen·nes et des étudiant·es en attente de réorientation n’avaient aucune réponse positive le mardi 2 mai à l’ouverture de la plate-forme. 29.000 n’avaient que des réponses négatives, les autres étaient « en attente » sur au moins un vœu. Pour rappel, avec l’ancien système d’affectation (APB), plus de 60% des candidat·es avaient au moins un vœu satisfait au premier tour d’affectation. Utilisant la dénonciation du recours au tirage au sort, la ministre a mené dans la précipitation une réforme de tout le système en septembre 2017. Cette procédure était inacceptable et injuste pour les jeunes qui en ont été victimes. Nous rappelons néanmoins que 0,4% des candidat·es ont été pénalisés par le tirage au sort, alors qu’aujourd’hui ils et elles sont plusieurs centaines de milliers qui vont être départagés sur des critères opaques, injustes et discriminants.
Opaques parce que ni eux elles, ni leurs familles, ni leurs enseignant·es de lycée n’ont connaissance des critères ou algorithmes locaux mis en place pour déterminer l’ordre des dossiers.
Injustes parce qu’à notre connaissance il a fallu remonter jusqu’à plusieurs décimales après la virgule (parfois sept) pour départager des lycéen·nes en fonction de leur moyenne. Un élève avec une moyenne de 14,567 a été classé devant un élève avec 14,560… Autant dire, compte tenu des incertitudes dans le traitement des notes, que cela relève d’une loterie ou d’un arbitraire et qu’il s’agit de tirage au sort.
Discriminants parce qu’il apparaît que dans les critères locaux, des pondérations de moyenne en fonction de la filière de baccalauréat et des lycées d’origine ont pu être appliquées, ce qui renforce la sélection sociale déjà à l’œuvre en faisant de l’établissement, c’est-à-dire de sa réputation, un élément déterminant pour classer les demandes. Difficile de dire dans ce cas que le service public garantit l’égalité d’accès de toutes et tous à l’éducation et aux diplômes.
Les professeur.es principaux de classe de Terminale n’ont pu accéder à la plate-forme le 22 mai qu’après 23 heures tard dans la soirée et l’application ne permettait pas d’afficher les propositions par classe pour en discuter avec les élèves et les équipes pédagogiques. Le 23 mai au matin l’accueil et l’information des élèves se sont faits dans des conditions chaotiques, les derniers textes fixant les modalités d’affectation étant parus moins d’une semaine avant et les dernières informations des rectorats ayant été transmises juste avant le week-end, tout ceci à un mois des premières épreuves du bac !
Les lycéen·nes sont assommé.es, découragé.es et en colère. Après des mois de communication gouvernementale sur le libre choix des candidat·es, leur maîtrise des parcours, la fin du tirage au sort, tout le monde se retrouve face à la dure réalité : il n’y a pas les places suffisantes pour accueillir chacun·e dans une formation post bac correspondant à ses choix d’orientation ou de réorientation… Les affichages des rangs dans les listes d’attente en sont la preuve, elles sont en plus terriblement anxiogènes pour les candidat·es, elles les classent et les mettent en concurrence les un·es par rapport aux autres.
L’absence de hiérarchisation des vœux conduit à l’engorgement du système et n’aide pas à la construction d’un parcours de formation post-bac réfléchi et travaillé en amont. Parcoursup, et ses commissions d’examen des vœux, ne permettent plus l’orientation active qui laissait la possibilité aux élèves d’échanger avec des enseignant·es du supérieur pour les conseiller sur leurs demandes de formation. De ce fait, les “oui si”, quand les universités ont la possibilité de mettre en place des dispositifs d’accompagnement, ne se font pas en concertation avec les lycéen·nes.
Au lieu de répondre aux questions des lycéen·nes, des familles, des personnels, d’entendre leurs demandes, leurs peurs, leur colère, le gouvernement mène une campagne de communication de grande ampleur qui vise à prouver que tout va bien et envoie la police contre les étudiant·es et les lycéen·nes qui expriment leur désaccord sur leurs lieux d’études.
Nos organisations soutiennent l’ensemble des bachelier·es et de leurs familles qui revendiquent le droit à la poursuite d’étude dans une filière correspondant à leurs choix et à leurs aspirations. Elles affirment la nécessité d’un plan d’urgence pour l’enseignement supérieur qui mette en adéquation les places disponibles et le nombre de bachelier·es et d’étudiant·es en demande de réorientation.
L’aveuglement idéologique du gouvernement doit cesser. Il est urgent de garantir le droit à toutes et tous les bachelièr·es d’accéder à l’université : il s’agit d’un choix de société.
- Raymond Artis, président de la FCPE
- Aurelien Boudon, co-secrétaire de la fédération Sud éducation
- Louis Boyard, président de l’UNL
- Marie Buisson, secrétaire générale FERC-CGT
- Jean-Louis, Fournel, sauvons l’université.
- Bernadette Groison, secrétaire générale FSU
- Lilâ Le Bas, présidente de l’UNEF
- Nathan Le Potier, secrétaire général UNL-SD
- Marouane MAJRAR, Porte-Parole de la FIDL
- Romain Prudal, association des sociologues enseignant·e·s du supérieur
- Ugo Thomas, président du SGL
- Hubert Raguin, secrétaire général FNEC-FP-FO