Les réformes du lycée, du bac et de la sélection à l’entrée à l’université n’en font qu’une : il s’agit d’une réforme globale visant à instaurer une ségrégation sociale et à transformer profondément le service public d’éducation dans le sens des directives ultralibérales de l’OCDE. La mise de côté des lycées professionnels rend encore plus explicite cette volonté politique. La stratégie du gouvernement est de morceler les réformes mais la cohérence d’ensemble consiste à gérer les flux d’élèves dans un but d’économies budgétaires et de s’aligner sur les besoins économiques définis par le patronat et l’idéologie libérale. Ne nous y trompons pas : si les propositions les plus baroques du rapport Mathiot n’ont pas été prises en compte pour la réforme des voies générales et technologiques, si le bigbang statutaire des PLP ne semble pas, pour le moment, être dans les tuyaux de la réforme à venir de la voie professionnelle, c’est bien une révolution du lycée, des diplômes et des poursuites d’études qui est à l’œuvre.
Pour les diplômes, il s’agit de casser leur caractère national mais surtout leurs liens avec la qualification, reconnue par les conventions collectives, pierres angulaires des droits des salarié•es. Le Baccalauréat n’est ainsi plus le 1er grade universitaire ouvrant aux bachelier•ères la Licence universitaire de leur choix. Quant aux diplômes professionnels, leur parcellisation en blocs de compétences permet au patronat, de déroger aux conventions collectives.
Le lycée puis l’université deviennent dans la vision gouvernementale et patronale, une vaste machine à orienter et à trier les jeunes en tournant le dos à toute vocation émancipatrice et de lutte contre la reproduction sociale.
La FERC CGT refuse cette orientation qui va à l’encontre des besoins de notre société d’élever le niveau de qualification, elle fait le choix de la réussite et de l’émancipation de toutes et tous. Les 5 milliards de cadeaux faits aux plus riches (réforme de l’ISF) seraient mieux utilisés s’ils étaient mis au service des jeunes pour leur permettre de construire tout au long de leur cursus leur orientation sans choix irréversible.
L’Éducation, une vaste gare de triage ?
Si le ministre a évacué les propositions les plus impraticables du rapport Mathiot, le projet de réforme du baccalauréat et du lycée n’en demeure pas moins inacceptable.
Les disciplines de spécialités sont mises en place pour permettre d’évaluer les attendus prévus par la réforme Vidal et ce n’est ainsi pas un hasard si leur évaluation au baccalauréat est avancée au printemps pour leur prise en compte dans Parcoursup. Le lycée général que l’on nous propose n’est, finalement, qu’une façon d’orienter les élèves vers le supérieur, dès la fin de seconde, par leurs choix de disciplines de spécialités.
L’avenir et la place de certaines disciplines demeurent assez flous. C’est le cas de celles absentes en tant que telles du tronc commun, pour lesquelles les postes d’enseignant•es dépendront des choix de spécialités des élèves. C’est aussi le cas de celles intégrées dans des enseignements aux contours flous et pour lesquelles, il est difficile d’y voir clair sans les nouveaux programmes (fin 2018).
Plus globalement, une « optimisation » poussée des compositions de classe, avec le tronc commun d’un côté et une mise en barrette des enseignements de spécialité, peut permettre des économies de postes.
Cette réforme ne fera donc qu’aggraver les déterminismes sociaux déjà à l’œuvre dans le choix des séries, entre les élèves des milieux favorisés, qui sauront choisir les bonnes spécialités en fonction des « attendus » de Parcoursup et les autres. Le peu d’annonces sur les séries technologiques laisse planer le doute sur leur avenir comme sur les poursuites d’études (autres qu’IUT et STS), alors que la voie générale est reconstruite pour répondre à la mise en place des attendus. Pour les élèves de la voie professionnelle, sélectionnés dès la 3ème, ne resteront « au mieux », comme poursuite d’études, que les places que l’institution voudra bien leur laisser en section de technicien supérieur.
Cette réforme est donc bien une machine idéologique, aboutissement d’une politique réactionnaire de refus de la démocratisation scolaire, au service d’un lycée général élitiste et propédeutique aux études supérieures, bâti sur la sélection et sur l’orientation précoce. Elle va accroître les disparités territoriales entre établissements en mesure de proposer tous les duos de spécialités, voire d’offrir un duo « maison ».
Le projet tourne ainsi le dos à un lycée émancipateur, aboutissement de la construction d’une culture générale et technologique commune. C’est sur le refus du tri social que nous devons mobiliser les collègues et la communauté éducative contre ce projet et contre la sélection à l’université avec les lycéen•es et les étudiant•es.
Ainsi, en 1968, le gouvernement veut « contrôler et normaliser la croissance des effectifs des étudiants » : orientation et sélection. Sous la pression des grèves, de Gaulle sera contraint de renoncer à son projet d’introduction de la sélection à l’université.
En 1976, le gouvernement porte un projet de loi de réforme du second cycle avec la Licence et la Maîtrise qui réintroduit le principe de sélection. Les titulaires d’un DEUG en 2 ans ne pourraient plus avoir accès automatiquement à l’inscription en Licence. Après 3 mois de mobilisation de mars à mai 1976, le projet sera abandonné.
En 1986, le projet de loi Devaquet propose la création de nouveaux établissements universitaires, préfiguration de nos ComUE actuelles, avec une large et pleine autonomie : chargés d’élaborer eux-mêmes leurs statuts, ils pouvaient définir librement les formations qu’ils allaient dispenser et les diplômes qu’ils devaient délivrer ainsi que les conditions d’accès et les conditions de passage d’un cycle à l’autre. Alain Devaquet réintroduisait la notion de sélection pour l’accès des bachelier•es à des études supérieures. Une forte mobilisation pendant deux mois de lutte en novembre et décembre 1986 et l’assassinat de Malik Oussekine par la police, le 6 décembre 1986, conduisent Jacques Chirac à retirer le projet de loi Devaquet.
Les établissements sélectionneront leurs étudiant•es en étant en concurrence les uns avec les autres sur l’ensemble du territoire. Les « capacités d’accueil » sont fixées entre l’autorité administrative (rectorat) et les directions d’établissement après une « concertation » : c’est la CASSE du cadre national et le diplôme ne suffit plus, il s’agit de « prouver » motivation et compétence ! Cette généralisation de la sélection n’a pour seul objectif que de répondre aux besoins locaux du patronat !
Au sein de chaque filière de chaque université, sont en effet prévus à terme des cursus différenciés, c’est-à-dire, pour simplifier, à trois vitesses : la Licence normale (trois ans), une Licence accélérée (deux ans) ou bien renforcée, qui sera de fait elle-même sélective et ne pourra que dévaloriser la Licence classique, et enfin une Licence à vitesse réduite (quatre ans) ou bien à dispositifs spécifiques, obligatoire pour certains étudiant•es.
La mise en place d’une année de remédiation ou année zéro dès la rentrée prochaine n’est qu’un effet d’annonce ! Il en est est de même pour le suivi personnalisé. On peu douter de la pertinence de ces dispositif sans moyen budgétaire conséquent, ni temps pour une véritable réflexion pédagogique. Le risque est grand d’un recours abusif à encore plus de précaires pour assurer des cours magistraux, des travaux dirigés ou pratiques dans les solutions à la carte qui se présenteront pour des pré-licences ou 1ere année. Ce n’est pas avec la généralisation des MOOC (cours en ligne) que l’on va pouvoir proposer des « parcours individuels » !
Dans chaque établissement une partie des maigres moyens va se concentrer plutôt sur les cursus renforcés au détriment de la Licence classique et de la Licence ralentie, sans compter le risque de rendre payants, à terme, les cursus rapides ou renforcés. Les député•es LREM via la commission des finances de l’assemblée nationale ont commandé un rapport à la Cour des comptes en vue d’augmenter les frais d’inscription.
Ce travail engendre un tsunami dans les services de scolarité et de secrétariats pédagogiques. En raison du nombre de dossiers à traiter dans une période courte, il faut s’attendre à une surcharge de travail générée par les procédures de sélection. Comme pour les masters, en cas de non affectation, la gestion des « conflits » sera gérée par le rectorat et le nombre d’inscriptions en novembre va exploser…
Il est question d’organiser l’examen des dossiers, des entretiens, des épreuves en amont de l’inscription en L1 sans moyens humains et organisationnels supplémentaires. Aucun algorithme ne pourra à lui seul résoudre le problème des filières mises sous tension du fait du manque d’orientation et de présentation du contenu des filières, du manque de moyens humains et financiers (construction et entretiens des locaux, recrutement des personnels…).
Face à la masse de candidatures (empilement des fiches « avenir »), le risque est grand de renforcer la hiérarchisation présupposée des filières de bac et la renommée des établissements du secondaire.
La réalité est donc bel et bien que cette réforme est celle de la sélection et de l’accroissement des inégalités. L’UNEF a ainsi démontré, dans une étude documentée de la réforme, que 95 % des licences universitaires vont classer les étudiant•es qui demandent à y rentrer. Résultat : 300 000 jeunes n’auront pas d’inscription dans leur vœu préférentiel à l’issue de la procédure Parcoursup, avec 34 % de licences sélectives (67 % juste en Ile-de-France).
Défendre l’éducation, nos conditions de travail et l’avenir des jeunes
Pour la FERC CGT, l’Ecole et l’Université doivent contribuer à la construction des connaissances, constituer un lieu où tous les élèves et étudiant•es peuvent s’approprier les savoirs, acquérir un esprit critique et accéder à la culture. Ainsi, elles contribueront à l’émancipation de toutes et tous.
La FERC CGT s’oppose à la remise en cause du bac comme 1er grade universitaire et diplôme national garantissant l’accès de tous les bachelier. ères sur tout le territoire aux filières post-bac et aux établissements de leur choix, et refuse la création de voies de formation de relégation réservées aux seuls bachelier•ères professionnels et technologiques.
La FERC CGT veut un lycée qui ne trie pas mais qui permette la réussite et l’émancipation de tou•tes, qui repose sur l’égalité de traitement des voies, des filières et des disciplines. Cela nécessite des volumes horaires plus équilibrés entre disciplines et l’allongement de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans. En ce sens, elle revendique une élévation du niveau de qualification de tou•tes les jeunes leur garantissant l’accès à un emploi stable et bien rémunéré. L’enseignement public, scolaire et supérieur, doit permettre l’égal accès de toutes et tous au meilleur niveau de formation. Il doit être qualifiant et doit permettre de valider les années d’études par un diplôme reconnu dans les grilles de classification afin de garantir les droits et rémunérations des futurs salarié•es.
La FERC CGT revendique des moyens pour l’Education nationale et l’Université. Sans moyens pour donner de bonnes conditions de travail au personnel des établissements et de bonnes conditions d’études aux jeunes, notre système éducatif reproduit les inégalités sociales. Il est de moins en moins en capacité de remplir ses missions et de porter l’espoir de promotion sociale aux jeunes et à leurs familles.