Les lycées professionnels pris dans l’étau

Article issu du site Alternatives Economiques ICI
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Serait-ce parce que le monde intellectuel et politique n’y envoie pas ses enfants ? La réforme en cours du lycée professionnel n’a en tout cas guère fait de bruit jusqu’à présent dans le débat public. Elle constitue pourtant, avec Parcoursup et la refonte en cours du lycée et du baccalauréat général, le troisième pilier de la rénovation du tronçon « bac – 3/bac + 3 » engagée par le gouvernement depuis l’an dernier.

Des difficultés récurrentes

Selon le ministère de l’Education nationale, cette réforme se justifie par les difficultés récurrentes que connaîtrait la filière : déficit d’attractivité, manque de lisibilité, offre de formation « inadaptée » au marché du travail, taux d’insertion souvent faibles… Pour y remédier, le ministre Jean-Michel Blanquer a pu s’appuyer sur un rapport de la députée (LREM) Céline Calvez et du chef étoilé Régis Marcon, remis en février 2018. Il reprend en particulier leur proposition d’organiser la classe de seconde par grandes familles de métiers (métiers du bois, par exemple), la spécialisation n’intervenant plus qu’en première.

La réforme prévoit de diminuer les volumes horaires globaux d’environ 10 %, essentiellement pour les les enseignements dits « généraux » (français, mathématiques, langue vivante…)

Autre changement majeur : la réduction des volumes horaires globaux, les emplois du temps étant jugés « particulièrement lourds » pour les élèves (jusqu’à 34 heures environ par semaine). Dans le projet présenté par le ministère, la réduction serait d’environ 10 % sur les deux (CAP) ou trois (bac pro) années de la formation, et toucherait essentiellement les enseignements dits « généraux » (français, mathématiques, langue vivante…). Une partie des enseignements serait réalisée en « co-intervention », afin de « donner plus de sens aux enseignements généraux en les rendant concrets pour les élèves dans une perspective professionnelle ». Le ministère entend également faciliter les passerelles entre voie scolaire et apprentissage, en faisant en sorte que chaque lycée professionnel puisse accueillir des apprentis.

Strabisme institutionnel

Une réforme d’une telle ampleur, les professeurs de lycée professionnel (PLP) en avaient déjà subi une en 2007. Xavier Darcos avait alors ramené d’autorité le cursus du bac professionnel de quatre à trois ans, sans consulter les enseignants, ni d’ailleurs les organisations professionnelles. Mais la pilule a tout de même du mal à passer : le 10 octobre dernier, le Conseil Supérieur de l’Education, organe consultatif, a voté contre le projet. Fin septembre, déjà, un quart des PLP étaient en grève à l’appel d’une intersyndicale (que n’a pas rejointe le Snetaa, syndicat majoritaire). Ils protestaient contre un projet à l’économie, qu’ils jugent essentiellement guidé par la nécessité d’atteindre l’objectif de 2 500 suppressions de postes dans le secondaire fixé par le ministre de l’Education nationale. C’est en particulier contre ces suppressions qu’ils défileront à nouveau aujourd’hui, aux côtés de leurs collègues des collèges et des lycées généraux.

Autre inquiétude : l’instauration des secondes par familles de métiers, qui réduirait l’apprentissage concret du métier réduit à deux années. « On nous dit que ces secondes permettront une meilleure orientation des élèves. Mais ceux que nous croisons savent généralement très bien ce qu’ils veulent ! Résultat : on risque d’aggraver les problèmes de décrochage en faisant ronger leur frein à des jeunes prêts à apprendre un métier. La véritable difficulté concerne ceux qui sont orientés par défaut dans une voie qu’ils n’ont pas choisie », ajoute Axel Benoist, cosecrétaire national du Snuepp-FSU.

La réforme ravive en effet les contradictions politiques que subit la filière professionnelle, à laquelle on demande de prendre en charge des élèves connaissant souvent des difficultés scolaires et de les mener à une entrée rapide sur le marché du travail… Tout en les préparant à une éventuelle poursuite d’études dans le supérieur ! Un strabisme institutionnel qui n’a pas empêché les lycées pro de participer largement à la démocratisation du baccalauréat : en 2017, les candidats admis au bac pro représentaient 27,6 % des bacheliers et 21,9 % de leur classe d’âge. Mais des exigences si paradoxales sont, par nature, difficiles à combler.

Les filières tertiaires en difficulté

Côté insertion, la filière professionnelle souffre d’une réputation de « voie de garage » bien sévère. Dans son état des lieux de la filière professionnelle publié il y a deux ans, le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) notait, il est vrai, que la France est l’un des rares pays où les diplômés des filières professionnelles n’ont pas d’avantage d’insertion sur le marché du travail par rapport à ceux des voies généralistes. Mais certaines spécialités, dans le domaine des transports ou de la restauration notamment, sont recherchées. D’autres, en revanche, souvent orientées vers le secteur tertiaire (services) et aux effectifs pléthoriques, peinent à placer leurs élèves. La réforme actuelle prévoit d’y remédier, en réduisant les effectifs et en fusionnant certaines des spécialités les moins porteuses. Le Cnesco préconisait, lui, un rythme de rénovation des diplômes d’au maximum cinq ans, impliquant plus fortement les professionnels et les entreprises.

« Mais si les spécialités du tertiaire sont en difficulté, c’est aussi parce qu’elles accueillent tous ceux qui n’ont pas pu être pris ailleurs !, s’empresse de préciser Axel Benoist. Les formations qui fonctionnent bien, comme celles de routier ou de boulanger, sont coûteuses en équipement et en encadrement. Les places sont donc limitées. Du coup, les spécialités du tertiaire étant moins onéreuses, on y surcharge les classes. Au lieu de chercher un compromis ambitieux entre les aspirations des jeunes et les besoins des entreprises, on fait de la gestion de flux à moindre coût. » Le Cnesco notait en effet que les spécialités tertiaires accueillent « un public spécifique, où sont surreprésentés les filles, les enfants issus de catégories sociales défavorisées et de l’immigration ».

« Les filles de milieux populaires massivement orientées vers des formations aux métiers de l’administration, même lorsqu’elles ont d’importantes difficultés en français » – Fabienne Maillard, spécialiste de l’enseignement professionnel

Professeure en sciences de l’éducation à l’université Paris 8, Fabienne Maillard ajoute qu’« il y a un problème spécifique, mais jamais formulé comme tel, de formation des filles de milieux populaires. Celles-ci sont massivement orientées vers des formations aux métiers de l’administration, même lorsqu’elles ont d’importantes difficultés en français, et elles se retrouvent concurrencées sur le marché du travail par des candidats diplômés de l’enseignement supérieur. Avec de tels écarts entre leur niveau scolaire d’origine et ce que requièrent les emplois, ça ne peut pas marcher ! » Quant à l’idée de rénover plus fréquemment les diplômes, la spécialiste de l’enseignement professionnel n’y croit guère : « Les diplômes sont rénovés régulièrement ; néanmoins, il faut noter que les organisations professionnelles ne se passionnent pas toutes pour ces questions de curriculum. C’est d’autant plus vrai dans les services : les employeurs trouveront toujours de la main-d’oeuvre ! Ce sont les entreprises qui tiennent les rênes de l’emploi, pas le système éducatif. »

Jean-Michel Blanquer au lycée polyvalent de Serris (77). Le ministre de l’Education voudrait que chaque lycée professionnel accueille des apprentis.

Les études longues compromises

C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles, en 2017, 38 % des bacheliers pro ont poursuivi leurs études, contre seulement 23 % en 2005. Ils se dirigent essentiellement en BTS où, grâce à des mesures de discrimination positive (place de droit pour les mentions « bien » ou « très bien »), ils représentent désormais 30 % des effectifs. Mais leurs résultats sont très fragiles : seule la moitié d’entre eux obtient son diplôme en deux ou trois ans. Quant à l’université, les bacheliers pro n’y représentaient que 5 % des entrants en 2017. Et une proportion encore bien moindre de ceux qui parviennent à décrocher une licence…

Les élèves de la filière professionnelle se heurtent à l’hostilité d’un monde de l’enseignement supérieur qui, bien souvent, juge qu’ils n’y sont pas à leur place

Ayant obéi aux incitations institutionnelles à pousser le plus loin possible leur cursus, les élèves de la filière professionnelle se heurtent à l’hostilité d’un monde de l’enseignement supérieur qui, bien souvent, juge qu’ils n’y sont pas à leur place. Or, selon Fabienne Maillard, « la réforme actuelle met clairement la finalité de poursuite des études en sourdine ». Combinée à la mise en place de la procédure Parcoursup, la réduction des volumes horaires d’enseignements généraux devrait en effet rendre plus difficile encore l’accès des bacheliers pro aux études longues.

Sur Parcoursup, les bacheliers professionnels ont été les derniers servis

Devenir des candidats à l’issue de la procédure Parcoursup, selon le baccalauréat obtenu

Instaurant un examen individualisé des dossiers préalable à l’accès à l’enseignement supérieur, la procédure Parcoursup instaurée pour la rentrée 2018 a lésé les détenteurs d’un baccalauréat professionnel. Lors de la phase principale de la procédure, Ces derniers avaient,en moyenne attendu 17 jours pour recevoir leur première proposition, et n’en avaient reçu finalement 2,2, là où les bacheliers généraux n’avaient attendu que quatre jours une réponse positive et bénéficié de 4,2 propositions. Ces dernières semblaient par ailleurs mieux leur correspondre puisque, à la fin de la procédure le 21 septembre dernier, seuls 12,4 % des bacheliers généraux ayant postulé sur Parcoursup avaient abandonné la procédure malgré une réponse positive, alors que 23,6 % des bacheliers pro étaient dans ce cas.

Il n’empêche : à peine entrouverte, la porte de la prolongation d’études pour les élèves du pro s’apprête déjà à être refermée, et avec elle une partie des espoirs d’une jeunesse populaire à qui la réforme en cours ne propose, pour l’heure, pas d’alternative crédible. Mais qui, au fond, s’en soucie vraiment ?

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